7 octobre 2020
N°19049944.
La CNDA a considéré que la requérante n’avait pas établi avoir été soumise à la pratique du lévirat, mais elle a cependant reconnu qu’elle avait subi des mauvais traitements justifiant que lui soit accordé le bénéfice de la protection subsidiaire.
Après le décès de son mari, une Tchadienne musulmane prétendait épouser un Tchadien de confession chrétienne dont elle était éprise. Sa famille s’est fermement opposée à ce projet, prétendant lui faire épouser son beau-frère, conformément à la pratique du lévirat.
Bien qu’ayant refusé, semble-t-il à bon droit, d’accomplir la volonté de sa famille, la jeune veuve s’est placée dans une situation très difficile, ainsi que l’expose Monsieur Benan Benjamin DJIKOLOUM, docteur en droit tchadien, dans un article paru en 2002 dans la revue internationale de droit comparé :
« D’une manière générale, les mariages sans le consentement des mariées sont légions dans les mœurs tchadiennes. Cependant, en ce qui concerne la veuve, notre opinion est qu’elle peut toujours refuser le lévirat mais à quel prix ? Ce faisant, elle court le risque d’être rejetée par sa propre famille, et surtout elle peut ne plus revoir ses enfants. Pire, son futur époux, étranger au clan, doit s’attendre à vivre dans la hantise d’un empoisonnement car, par cet acte, il vient de se mettre à dos toute une famille ; choisir d’épouser une veuve alors qu’on n’appartient pas à la famille du défunt mari, c’est entrer dans un contentieux dont l’issue peut être fatale ».[1]
En effet, en refusant d’épouser son beau-frère, la requérante s’est attirée les foudres de l’intéressé qui n’a pas supporté d’être rejeté par celle qu’il considérait lui revenir de droit.
Il l’a alors enlevée et séquestrée des semaines durant, au cours desquelles il lui a fait subir les pires sévices, notamment sexuels. Là encore, une telle situation n’est malheureusement pas exceptionnelle, ainsi que le relate la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dans un article publié en 2015, sur le lévirat selon la tradition zaghawa, ethnie à laquelle appartenait la requérante :
« […] le président de la LTDH[2] a déclaré que, si une veuve de la communauté zakawa refusait de prendre part au lévirat, on exercerait sur elle une « soumission forcée » ; il a expliqué ses propos ainsi : « quelquefois, la veuve peut être kidnappée, frappée et enfermée », et on peut lui faire subir « des violences sexuelles jusqu’à ce qu’elle tombe [enceinte], sauf si « l’héritier » en décide autrement » (LTDH 24 juin 2015) ».[3]
Bien que le récit de la requérante soit parfaitement cohérent avec ces articles, le Directeur de l’OFPRA, comme d’ailleurs la CNDA, ont considéré que ses déclarations n’apparaissaient pas suffisamment probantes.
Ils lui ont notamment reproché de n’avoir pas expliqué pourquoi la tradition permettant à la veuve de choisir son second mari n’avait pas été respectée. Or, il lui était bien difficile de donner pareille explication.
En effet, la requérante a subi cette situation ; elle l’a perçue comme injuste et contraire à la tradition. Comment aurait-elle pu justifier une décision illégale, prise par d’autres et qui ne lui a, à aucun moment, été expliquée ?
Quoi qu’il en soit, la CNDA a considéré que la requérante n’appartenait pas au groupe social des femmes qui entendent se soustraire à un mariage imposé et elle a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugiée.
En revanche, elle a admis qu’elle avait bien été victime de sévices de la part de sa famille.
Si la conviction de la Cour a été emportée sur ce point, c’est probablement pour deux motifs :
- d’une part, parce qu’un rapport rédigé par un médecin de l’unité médico-judiciaire de l’hôpital du lieu de résidence de la requérante, décrivant les cicatrices dont celle-ci est couverte, avait été transmis à la Cour à l’appui d’un mémoire complémentaire ;
- d’autre part, parce que lors de l’audience, la requérante a été invitée par l’un des assesseurs à décrire les sévices qui lui ont été infligés et qu’elle a relaté son calvaire d’une façon particulièrement émouvante.
Il convient de souligner que les violences décrites par la requérante trouvaient leur explication dans son refus de se soumettre au lévirat. Dès lors, il est difficilement compréhensible que les violences aient été tenues pour établies mais pas le lévirat qui en était pourtant la cause…
Quoi qu’il en soit, la CNDA a considéré que la requérante avait établi « être exposée à des attentes graves au sens de l’article L 712-1 b) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en cas de retour dans son pays en raison des violences qu’elle a subies, sans être en mesure de bénéficier de la protection effective des autorités ».
La décision de l’OFPRA a donc été annulée et le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été accordé.
[1] « La condition de la veuve dans le droit positif tchadien des personnes et de la famille » – Revue internationale de droit comparé – Benan Benjamin DJIKOLOUM. Vol 54 N°3, juillet-septembre 2002, pp 811-833 – page 821.
[2] LTDH : Ligue tchadienne des droits de l’homme.
[3] « Tchad : information sur le lévirat, particulièrement selon la tradition zakawa [zagawa, zaghawa, zakhawa]… » Article publié le 17 juillet 2015 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada accessible à l’adresse suivante : https://www.refworld.org/cgibin/texis/vtx/