Juge des libertés et de la détention de Nanterre,
28 février 2024
Ordonnance N°24/14.
Arrêté pour avoir volé dans un supermarché quatre morceaux de viande d’une valeur totale de 18,72 euros, un étranger en situation irrégulière est placé en garde à vue. Il fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français puis est envoyé en rétention administrative le temps d’organiser son départ vers son pays d’origine. La violation de ses droits durant sa garde à vue entraîne sa remise en liberté.
Monsieur X est de nationalité moldave. Il est entré en France régulièrement mais il n’est plus retourné dans son pays. Il a un contrat de travail et des bulletins de paye à son nom, ainsi qu’un hébergement, ce dont atteste un compatriote qui produit en outre une quittance d’électricité datant de 2024.
Le 24 février 2024 à 19 h 05, il est placé en garde à vue pour avoir commis un vol de quatre morceaux de viande d’une valeur totale de 18,72 euros dans un supermarché. A l’issue de sa garde à vue, le 25 février 2024 à 15 h 35, le parquet décide de classer sans suite la plainte du gérant du supermarché.
Toutefois, le Préfet des Hauts-de-Seine, considérant que Monsieur X constitue une menace pour l’ordre public, prend un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, avec une interdiction de retour en France pendant une durée d’un an. Cet arrêté lui est notifié le 25 février 2024 à 15 h 40.
Le même jour à la même heure, le Préfet lui notifie un arrêté le plaçant en rétention au motif qu’il « ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement », suivant les termes de l’article L 741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) [1]. Monsieur X est aussitôt transféré au local de rétention administrative de Nanterre.
Le 26 février 2024 à 10 h 03, la préfecture des Hauts-de-Seine saisit la direction nationale de la police aux frontières d’une demande de plan de voyage d’éloignement de Monsieur X, pour un départ en Moldavie à compter du 26 février 2024.
Par requête du 27 février 2024 à 8 h 49, le Préfet des Hauts-de-Seine saisit le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire de Nanterre d’une demande de prolongation de la rétention de Monsieur X, sur le fondement de l’article L 742-1 du CESEDA [2].
Le cabinet LUNEAU Avocat est alors commis d’office pour assister Monsieur X lors de l’audience devant le JLD.
Le cabinet va soulever deux moyens : d’une part, l’irrégularité de la requête tendant à saisir le juge, et d’autre part, l’irrégularité de la garde à vue à l’origine du placement en rétention.
- Sur la requête
Le cabinet fait observer que la requête n’a pas été signée par le préfet lui-même et qu’elle n’a pas non plus été signée par l’un de ses délégataires directs, mais par une personne qui n’est compétente pour signer qu’en cas d’absence ou d’empêchement du délégataire direct.
Or, l’absence ou l’empêchement du délégataire direct n’ayant pas été démontré, ni même invoqué par le signataire, le cabinet en conclut que celui-ci n’était pas compétent pour signer la requête et que celle-ci est donc irrégulière.
- Sur la garde à vue
En outre, le cabinet fait valoir que la garde à vue de Monsieur X, qui est à l’origine de son placement en rétention, est également entachée d’une irrégularité.
En effet, le procès-verbal de notification des droits n’a pas été signé par Monsieur X, contrairement à ce qui est écrit dans ledit procès-verbal. Il est donc permis de douter que ses droits lui ont réellement été notifiés, d’autant qu’il n’en a exercés aucun. Le cabinet a notamment insisté sur le fait qu’il est supposé avoir renoncé au bénéfice d’un avocat durant sa garde à vue alors qu’il en a demandé un devant le JLD…
Le JLD va faire droit au second moyen soulevé par le cabinet dans les termes suivants :
« Il ressort en effet de la procédure que le procès-verbal de notification des droits n’a pas été signé par M X ; que ce défaut de signature emporte un doute sur la réelle notification de ses droits à l’intéressé, et ce d’autant, comme le soulève son conseil, qu’il n’en a exercé aucun.
Cette irrégularité fait nécessairement grief à l’intéressé, dont il n’est pas démontré par la procédure qu’il a bien été en mesure d’exercer ses droits et notamment le droit d’être assisté d’un avocat.
Ainsi, la rétention administrative s’appuyant sur la mesure de garde à vue, est entachée d’irrégularité. Par conséquent, il convient d’ordonner la remise en liberté d’Andreï X, sans qu’il soit besoin de statuer sur l’autre moyen soulevé ».
Par ordonnance du 28 février 2024 à 14 h 10, le JLD ordonne la remise en liberté de Monsieur X, tout en lui rappelant qu’il a l’obligation de quitter le territoire français.
[1] Article L 741-1 du CESEDA : « L’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision.[…] ».
[2] Article L 742-1 du CESEDA : « Le maintien en rétention au-delà de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision de placement initiale peut être autorisé, dans les conditions prévues au présent titre, par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par l’autorité administrative ».