Cour nationale du droit d’asile,
30 décembre 2019
N°19053652.

Les personnes homosexuelles forment, au Sénégal, un groupe social au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié.

 Le requérant, qui a pu démontrer son appartenance à ce groupe social, s’est vu reconnaître la qualité de réfugié en raison de la réalité et de l’actualité de ses craintes en cas de retour dans son pays.

L’article 319 du code pénal sénégalais dispose que « […] sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs CFA quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe ».

Un rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en date du 14 mai 2019 sur la situation des minorités sexuelles au Sénégal mentionne, page 4, que « selon le classement 2019 du guide Spartacus, le Sénégal […] apparaît désormais comme le pays le plus homophobe en Afrique de l’Ouest ».

Ce rapport indique également, page 9, que « […] les homosexuels au Sénégal n’ont d’autre choix que de cacher qui ils sont. Depuis 2008-2009 […] le seul soupçon vaut preuve d’homosexualité ». Pages 10 et 11, le rapport ajoute que « selon HRW, les comportements homosexuels sont déduits de la simple apparence physique ou s’appuient sur des ouï-dire, parfois en l’absence de toute preuve ».

La société sénégalaise apparaît massivement hostile à l’homosexualité, à tel point que des ONG luttent, non pas contre l’homophobie, mais contre l’homosexualité : il en est ainsi de l’ONG JAMRA qui « a initié des tournées dans les familles religieuses du pays, musulmanes et chrétiennes, afin de les inciter à rejeter et à dénoncer cette « pratique » »[1].

L’écrivain sénégalais Mohamed MBOUGAR SARR, auteur d’un roman intitulé « De purs hommes » considère, dans un entretien publié le 25 mai 2018 par le journal Le Monde, qu’ « Essayer ne serait-ce que de réfléchir à l’homosexualité, c’est s’exposer à un danger ». Pour lui, « Au Sénégal, on s’expose lorsqu’on pense différemment sur certains sujets. L’homosexualité fait partie de ces lignes rouges ».

Ainsi, il apparaît qu’en raison du regard que portent la société et les institutions sénégalaises sur l’homosexualité, les personnes homosexuelles au Sénégal appartiennent à un groupe social au sens de l’article 1er A 2 de la convention de GENEVE du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

En l’espèce, l’OFPRA avait considéré que la réalité de l’homosexualité du requérant n’était pas établie.

Or, il est extrêmement difficile de prouver son orientation sexuelle, d’autant que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a affirmé que « l’article 4 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 […] s’oppose à ce que, dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile, l’OFPRA et la CNDA acceptent et, a fortiori, tiennent compte d’éléments de preuve […] de nature à porter atteinte à la dignité humaine »[2].

Dans ces conditions, c’est la qualité de la prestation du requérant lors de l’audience qui est déterminante. Il doit en effet exposer comment il a pris conscience de son orientation sexuelle, quelles précautions il a prises pour ne pas s’exposer lors des relations amoureuses qu’il a vécues, et dans quelles circonstances son homosexualité a finalement été découverte.

Il doit ensuite décrire les persécutions qu’il a endurées et comment il a pu fuir son pays avant de trouver refuge en France.

Dans cette affaire, la CNDA a relevé que le requérant avait : « relaté avec pudeur et émotion les violences qu’il a subies de la part de ce dernier [son frère] lorsqu’il a finalement reconnu, sous ses coups, être homosexuel. De même, ses déclarations quant à la réaction de sa mère sont apparues sincères et empreintes de vécu. Enfin, le requérant a livré un récit personnalisé et circonstancié de sa fuite du domicile familial, puis de son séjour chez un ami et de l’organisation de son départ du Sénégal ».

Enfin, la présentation de sa carte de membre de l’association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l’intégration et au séjour (ARDHIS), obtenue au mois de juillet 2019, accompagnée d’une attestation d’un bénévole de cette association, ont sans doute achevé de convaincre la CNDA de la réalité de l’orientation sexuelle du requérant.

Pour se voir reconnaître la qualité de réfugié, il faut aussi exprimer des craintes réelles et actuelles en cas de retour dans son pays d’origine.

S’agissant d’un requérant sénégalais, un recours aux autorités en cas de nouvelles exactions commises par la famille était inenvisageable. En effet, dans ce pays, dénoncer des mauvais traitements liés à son homosexualité c’est s’exposer au mieux à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 319 du code pénal sénégalais, au pire à des mauvais traitements supplémentaires de la part de la police.

Dans ces conditions, dès lors que l’homosexualité du requérant était établie, le statut de réfugié avait de grande chance de lui être reconnu. Tel a été le cas en l’espèce.

[1]  Rapport de l’OFPRA du 14 mai 2019 sur la situation des minorités sexuelles et de genre au Sénégal – page 8.

[2] CNDA 29 octobre 2015 N°15006472.