Cour nationale du droit d’asile,
12 juin 2024
N°24003449.

En Côte d’ivoire, les femmes d’origine dioula non excisées forment un groupe social au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, tout comme les femmes voulant se soustraire à un mariage arrangé.

 La requérante s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée parce qu’elle a pu démontrer son appartenance à ces deux groupes sociaux, ainsi que la réalité et l’actualité de ses craintes en cas de retour dans son pays.

Mademoiselle X est de nationalité ivoirienne et d’ethnie dioula. Elle est issue d’une famille traditionnelle où l’excision est toujours couramment pratiquée. Dans les jours qui ont suivi sa naissance, ses grands-mères ont décidé de l’exciser. Une tentative en ce sens a alors eu lieu.

Parallèlement, les anciens de la famille ont décidé de lui faire épouser son cousin. Ce projet de mariage est évoqué depuis son enfance. Il est présenté depuis toujours comme une évidence dans sa famille.

Lorsque mademoiselle X a eu l’âge de treize ans et qu’il a été question de concrétiser le projet de mariage avec son cousin, sa grand-mère paternelle a voulu s’assurer que l’excision de sa petite-fille avait été correctement réalisée. Elle l’a donc examinée.

Considérant que tel n’avait pas été le cas, les grands-mères ont décidé de pratiquer une nouvelle excision avant que l’intéressée ne soit donnée en mariage.

Ses parents ont toujours été opposés à l’excision comme au mariage arrangé. Convaincus qu’ils ne pourraient empêcher ni l’une ni l’autre, ils ont pris la décision de fuir la Côte d’Ivoire pour préserver leur fille de la mutilation que les grands-mères avaient programmée et du mariage qui devait s’en suivre.

Après un périple à travers le Mali, la Libye et l’Italie, mademoiselle X est entrée en France au mois de septembre 2023 avec sa mère ; son père, malade, étant resté en Italie.

Mademoiselle X a présenté une demande d’asile qui a été rejetée au motif que son discours, suivant lequel elle aurait été excisée durant son enfance, était contredit par les constatations médicales qui ont révélées qu’elle ne l’était pas, que le projet de mariage forcé qu’elle dénonce apparaissait peu crédible, et qu’en conséquence, il n’était pas possible de conclure au caractère traditionnaliste de sa famille.

Pour l’OFPRA [1], les déclarations sommaires de mademoiselle X lors de l’entretien avec l’officier de protection ne permettraient pas de conclure à la réalité du projet de mariage forcé. Quant au risque d’excision auquel elle se disait exposée, il apparaissait trop hypothétique, dès lors qu’il n’était pas possible de conclure au caractère traditionnaliste de son entourage.

L’audience a été très pénible, les juges de la CNDA ayant manifesté peu d’empathie à l’égard de la requérante. Les questions posées ont été plus qu’incisives et l’attitude de la Cour laissait constamment redouter que les réponses apportées n’étaient pas crues.

Le cabinet s’est cependant efforcé de démontrer le caractère traditionnaliste de l’entourage de sa cliente, ainsi que la réalité des menaces de traitements inhumains ou dégradants auxquels elles risquaient d’être exposée en cas de retour dans son pays.

  • Sur le caractère traditionnaliste de l’entourage de mademoiselle X.

En premier lieu, il a été rappelé que la mère de mademoiselle X avait elle-même été excisée ; ce fait étant attesté par un certificat médical figurant au dossier.

Il était donc à craindre que ce que la mère avait subi, la fille le subisse aussi, précisément en raison de cet entourage familial traditionaliste auquel il est extrêmement difficile, voire impossible, de résister.

En deuxième lieu, la pratique du mariage arrangé est si courante dans cet environnement familial qu’il est inconcevable de la remettre en question. Les parents de mademoiselle X sont eux-mêmes cousins germains et ont, eux aussi, été victimes d’un mariage forcé.

Quand mademoiselle X a évoqué avec l’officier de protection son mariage arrangé, elle l’a présenté comme une fatalité à laquelle il n’était pas possible de s’opposer, même avec le soutien de ses parents, à moins de quitter le pays.

Enfin, ce caractère traditionnaliste transparaît aussi dans un précédent particulièrement sordide auquel mademoiselle X a personnellement assisté : le décès de sa petite sœur, après deux jours d’agonie, des suites d’une excision « trop profonde » pratiquée par sa propre grand-mère. Mademoiselle X garde incrusté dans sa mémoire le douloureux souvenir de ce décès.

Le cabinet a produit des photographies de la sépulture de l’enfant, ainsi qu’une attestation d’un oncle de mademoiselle X relatant les faits.

Il a par ailleurs été souligné que cette mort tragique n’avait connu aucune suite judiciaire, précisément en raison du poids de traditions contre lesquelles il est extrêmement difficile de lutter. La dénonciation aux autorités judiciaires de membres de la famille est en effet absolument inenvisageable, particulièrement pour ce type de faits.

C’est pour ces raisons qu’il a été soutenu que mademoiselle X courrait un réel danger à retourner en Côte d’Ivoire.

  • Sur le bien-fondé et l’actualité des craintes de mademoiselle X en cas de retour en Côte d’Ivoire.

Le rapport de l’OFPRA du 21 février 2017 intitulé « Les mutilations génitales féminines en Côte d’Ivoire » souligne qu’un « […] refus de l’excision dans une communauté villageoise ou familiale où la prévalence est forte, risque d’entraîner une stigmatisation et un isolement de la fille et de sa mère, c’est-à-dire « la perte de leur statut social ». » (page 8 du rapport).

Or, mademoiselle X appartient à l’ethnie dioula, où la pratique de l’excision est toujours très répandue, notamment dans sa famille puisque sa mère a été victime de cette mutilation, de même que sa petite sœur qui en est, de surcroît, décédée.

Bien que de telles pratiques soient aujourd’hui prohibées en Côte d’Ivoire, mademoiselle X ne peut espérer trouver la moindre protection auprès des autorités de son pays puisque celles-ci appliquent la règlementation avec une mansuétude coupable.

Le rapport de l’OFPRA du 21 février 2017 précité précise en effet :

« Après la promulgation de la loi de 1998, quelques arrestations d’exciseuses ont eu lieu, mais ont fait l’objet de règlements amiables à la suite d’interventions de parents et communautés locales. Ainsi, fin 2011, une fillette de trois ans est morte de ses blessures liées à son excision à Dabakala, au Nord-Est de Katiola, mais aucune procédure n’a été engagée.

 Le premier procès s’est déroulé 14 ans après la promulgation de la loi. Ainsi, en juillet 2012, neuf exciseuses ivoiriennes, âgées de 46 à 91 ans, ont été condamnées par le tribunal de Katiola à une amende de 50 000 FCFA (75€) et une peine d’un an de prison avec sursis […] » (page 7 du rapport).

Le premier risque que courrait mademoiselle X en cas de retour en Côte d’Ivoire serait donc de subir une excision sans pouvoir se placer sous la protection des autorités de son pays.

Le second risque serait de subir un mariage forcé avec son cousin, ainsi que de nouvelles violences sexuelles.

Mademoiselle X a en effet déjà été victime de viols répétés de la part de ce cousin. Celui-ci, considérant qu’elle lui « appartient » puisque les anciens ont décidé qu’ils devaient se marier, lui a déjà fait subir des violences sexuelles à plusieurs reprises, le premier viol ayant eu lieu alors qu’elle n’avait que treize ans.

Les parents de mademoiselle X ne cautionnent en aucun cas les outrages subis par leur fille, l’excision que les grands-mères veulent à toutes fins lui faire subir et le mariage que les anciens veulent lui imposer.

Ils considèrent cependant que la pression familiale est telle qu’il leur est impossible de préserver leur fille sans quitter la Côte d’Ivoire et demander asile à la France.

Au terme d’une audience particulièrement éprouvante, la CNDA a finalement admis que les craintes de mademoiselle X étaient bien fondées. Elle lui a donc reconnu le statut de réfugié en raison de son appartenance, tant au groupe social des filles exposées à une mutilation génitale féminine, qu’au groupe social des femmes et jeunes filles s’étant soustraites à un mariage forcé.

[1] OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides.