Cour nationale du droit d’asile,
24 novembre 2021
N°21044687.

Au Sénégal, les personnes homosexuelles forment un groupe social au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié.

La requérante s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée parce qu’elle a pu démontrer son appartenance à ce groupe social, ainsi que la réalité et l’actualité de ses craintes en cas de retour dans son pays.

Lorsqu’un demandeur d’asile sénégalais prétend qu’il subit des persécutions du fait de son homosexualité, il a toutes les chances de se voir reconnaître la qualité de réfugié, à condition toutefois que ses déclarations soient crues…

Devant la CNDA [1], des questions intimes vont lui être posées. Les juges vont en effet s’efforcer de discerner si le demandeur d’asile dit la vérité. C’est la qualité de sa prestation lors de l’audience qui déterminera, pour une bonne part, la décision que prendra la Cour.

Le plus souvent, il sera invité à exposer comment il a pris conscience de son orientation sexuelle, quelles précautions il a prises pour ne pas s’attirer les foudres de sa famille et dans quelles circonstances son homosexualité a été découverte.

Il devra ensuite décrire les persécutions qu’il a endurées et expliquer comment il a pu fuir son pays pour trouver refuge en France.

Dans le présent dossier, le Directeur de l’OFPRA [2] doutait de l’orientation sexuelle de la cliente du cabinet ; il prétendait notamment que ses déclarations sur la manière dont elle avait pris conscience de son homosexualité avaient été trop sommaires.

Le cabinet s’est efforcé de rassembler des éléments susceptibles de convaincre la Cour que les allégations de sa cliente étaient vraies.

Celle-ci avait été mariée de force à un homme dont elle avait eu une fille. Parallèlement, elle entretenait une relation amoureuse avec une amie d’enfance qui fut découverte dans des circonstances qui sont apparues peu crédibles à l’OFPRA et qui ont d’ailleurs été très discutées lors de l’audience devant la CNDA.

Un recours sommaire a rapidement été formé pour annoncer la production d’éléments tendant à démontrer son homosexualité. Il s’agissait de rassembler le plus d’attestations possibles pour confirmer ses déclarations devant l’OFPRA.

Deux mémoires complémentaires ont ensuite été transmis à la Cour. Ils comprenaient les documents suivants.

  • En premier lieu, l’attestation d’un ami d’enfance qui avait été le témoin des persécutions de la jeune femme. Il était même son confident, celui chez qui elle s’était réfugiée lorsqu’elle avait été répudiée par son mari, puis reniée par sa famille, après la révélation de son homosexualité. Il ressortait de ce témoignage que la requérante était gravement menacée par les membres de sa famille, particulièrement ses frères, lesquels considéraient que son homosexualité portait atteinte à l’honneur familial. A cette menace, s’est ajoutée celle de son ex-mari qui ne supportait plus la présence de son ex-femme au Sénégal et surtout sa volonté de reprendre contact avec leur fille.
  • En second lieu, deux autres attestations ont été transmises, l’une provenant de l’association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour (ARDHIS), l’autre du « centre LGBT Bordeaux Aquitaine Le Girofard », qui témoignaient toutes deux de l’accompagnement de la requérante. Là encore, les circonstances dans lesquelles ces associations ont été contactées ont fait l’objet de discussions devant la CNDA qui a voulu s’assurer qu’un réel suivi était assuré et que les attestations produites n’étaient pas de pure complaisance.

Enfin, il a été rappelé au cours de l’audience que le Conseil d’Etat venait de retirer le Sénégal de la liste des pays d’origine sûrs en raison, notamment, de « […] l’existence de dispositions législatives pénalisant les relations homosexuelles au Sénégal […] » [3]. L’article 319 du code pénal sénégalais dispose en effet que « […] sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs CFA quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe » [4].

En conclusion, la CNDA a finalement été convaincue de l’homosexualité de la cliente du cabinet grâce à la qualité de sa prestation lors de l’audience et à la crédibilité des documents préalablement transmis à la Cour. L’actualité et la réalité de ses craintes, en cas de retour dans son pays, ayant par ailleurs été établies, la décision de l’OFPRA rejetant sa demande d’asile a été annulée et la qualité de réfugiée lui a été reconnue.

[1] CNDA : Cour nationale du droit d’asile.

[2] OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides.

[3] Décision du 2 juillet 2021 annulant la délibération du conseil d’administration de l’OFPRA en date du 5 novembre 2019, en tant qu’elle maintenait le Sénégal (entre autres pays) sur la liste des pays d’origine sûrs. (Conseil d’Etat, 2ème – 7ème chambres réunies, 2 juillet 2021, N°437141).

[4] Il est à noter que des députés sénégalais viennent de déposer une proposition de loi tendant à renforcer la répression de l’homosexualité. Celle-ci a cependant été rejetée par le Parlement le 25 décembre 2021.