Cour nationale du droit d’asile,
24 mai 2022
N°21027340 et N°21027341.
En Syrie, un simple lien de parenté avec un opposant au régime peut constituer un motif de persécution. De même, le refus de servir au sein des unités de protection de la femme (YPJ) expose les réfractaires à des représailles. Enfin, pour les autorités syriennes, celles qui ont fui leur pays au plus fort de la guerre sont suspectées de trahison, voire de soutien au terrorisme et risquent les pires outrages en rentrant dans leur pays.
Le doute profite parfois aux réfugiés… Dans ce dossier, les autorités françaises (administratives et juridictionnelles) ont beaucoup hésité avant de reconnaître le statut de réfugié à deux sœurs syriennes d’origine kurde.
En effet, ces dernières ont été chacune entendues à deux reprises par l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), puis à nouveau à deux reprises par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), avant qu’une décision ne soit enfin rendue en leur faveur.
Et pourtant, elles avaient des motifs de craindre non seulement les autorités syriennes, mais aussi le parti de l’union démocratique (PYD) qui administre et contrôle certaines zones kurdes dont elles sont originaires.
- Sur la crainte des autorités syriennes
Les requérantes ont pour oncle le fondateur du parti de l’avenir kurde, opposant au Président Bashar al Assad. Même si elles n’ont jamais été des militantes actives de ce parti, elles pâtissent du simple fait qu’il a été créé par un de leur parent.
Aux yeux des autorités syriennes, la menace ne provient pas tellement de ce qu’elles font mais de ce qu’elles sont, de leur lien familial avec un opposant politique de premier plan qui a d’ailleurs été assassiné le 7 octobre 2011, vraisemblablement sur ordre de Bashar al Assad.
Au cours de la première audience devant la CNDA, la réalité de ce lien de parenté a été contestée. Afin d’emporter la conviction des juges, une note en délibéré a été produite par le cabinet quelques heures après l’audience pour communiquer à la Cour la traduction du livret de famille en possession des deux sœurs. Il ressortait de la lecture de celui-ci que leur oncle portait bien le nom du fondateur du parti de l’avenir kurde et qu’il était décédé le 7 octobre 2011.
Pour achever de convaincre la CNDA de la réalité du lien de parenté, les requérantes ont établi une liste de dix de leurs parents (oncles, tantes, cousins et cousines) qui se sont vu reconnaître la qualité de réfugié en raison des activités politiques de cet oncle. La copie de quatre de ces décisions a pu être obtenue et transmise à la Cour au moyen d’un mémoire complémentaire.
Ainsi, dès lors que le lien de parenté entre les deux sœurs syriennes et le fondateur du parti de l’avenir Kurde était établi, il a pu être plaidé qu’il serait incompréhensible qu’elles soient les seules de leur famille à se trouver exclues du bénéfice de l’asile.
Une décision de rejet des recours serait apparue d’autant plus injuste que les deux sœurs avaient d’autres craintes que celles liées aux activités politiques de leur oncle. Elles redoutaient également des représailles pour avoir refusé de servir au sein des unités de protection de la femme (YPJ).
- Sur la crainte du parti de l’union démocratique
Le parti de l’union démocratique (PYD) contrôle et administre certaines zones kurdes dont les deux sœurs syriennes sont originaires. Ce parti dispose d’un « bras armé » : les unités de défense du peuple (YPG) et les unités de protection de la femme (YPJ). Or, ces unités imposent le service militaire obligatoire.
Les deux sœurs ont pu échapper, pendant un temps, à l’enrôlement de force dans les unités de protection de la femme en payant un dédommagement d’un montant considérable, correspondant à la moitié de la valeur de la récolte annuelle de leur famille.
Cependant, lorsque la situation est devenue dramatique sur le plan militaire, après l’entrée des forces turques en Syrie au mois d’octobre 2019, il n’était plus question de monnayer le refus de combattre.
Les sœurs ont raconté avec forces de détails comment des villages entiers étaient passés au peigne fin dans le but de recruter toutes les personnes, hommes et femmes, en âge de combattre. C’est la crainte de cet enrôlement forcé qui a précipité le départ de Syrie des deux sœurs.
Enfin, au mois de septembre 2021, quelques jours après la tenue de la première audience, Amnesty international a publié un rapport décrivant les terribles outrages que font subir les soldats syriens aux femmes qui rentrent dans leur pays. Le rapport mentionne que le simple fait d’avoir quitté le pays pendant la guerre est assimilé à une trahison.
Les viols qui sont évoqués dans ce rapport sont présentés comme des humiliations voulues par les soldats des postes frontières pour avoir fui la Syrie. Le rapport d’Amnesty international se conclut ainsi :
« Les personnes qui ont fui la Syrie au début du conflit risquent fort de subir des persécutions à leur retour, du fait de leurs opinions politiques présumées ou simplement à titre de punition pour avoir quitté le pays ».
La CNDA a finalement accepté de ne pas faire courir un tel risque aux deux sœurs syriennes puisqu’elle leur a reconnu la qualité de réfugié après deux recours, un mémoire complémentaire, une première audience, une note en délibéré, un second mémoire et une dernière audience.