Cass. Civ. 1ère,
25 juin 2025
N°474 F-D

Lorsqu’un magistrat décide d’écarter un moyen tiré de l’irrégularité d’une requête pour défaut de délégation de signature, au motif qu’une délégation en bonne et due forme aurait été versée en cause d’appel, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations et alors qu’il ne résulte d’aucune pièce de la procédure que ladite délégation a bien été versée aux débats, il viole le principe du contradictoire.

Monsieur X a été placé en soins psychiatriques par ordonnance du 28 février 2024, après avoir été reconnu irresponsable pénalement par le tribunal correctionnel de Nanterre.

Il a fait l’objet d’une mesure d’isolement à compter du 28 février 2024 à 23 h 25.

Par requête du 3 mars 2024, un délégataire du Directeur de l’hôpital Paul GUIRAUD a demandé la prolongation de la mesure d’isolement.

Par ordonnance du 3 mars 2024, le juge des libertés et de la détention (JLD) de Nanterre a fait droit à la requête de l’hôpital Paul Guiraud.

Le cabinet LUNEAU Avocat, qui assistait monsieur X, a interjeté appel et soulevé devant le Premier Président de la Cour d’appel de Versailles les deux moyens qu’il avait déjà soulevés devant le JLD, à savoir :

  • l’irrecevabilité de la requête initiale et
  • l’absence de risque de survenance d’un dommage immédiat ou imminent, seul susceptible de justifier une mesure aussi restrictive de la liberté que l’est une mesure d’isolement.
  • Sur la recevabilité de la requête

Le JLD avait été saisi par une requête qui aurait dû être signée par le Directeur de l’hôpital et qui ne l’avait été que par un de ses délégataires.

Or, si cette personne avait bien une délégation de signature du directeur, celle-ci ne lui permettait pas de saisir le JLD d’une demande de prolongation d’une mesure d’isolement.

En effet, parmi les sept items décrivant les matières dans lesquelles elle pouvait agir au nom du Directeur, aucun ne visait la possibilité de saisir un juge.

En outre, les conditions exigées par le code de la santé publique pour pouvoir placer un patient à l’isolement ne paraissaient pas davantage réunies.

  • Sur l’absence de risque de dommage immédiat ou imminent

Le registre motivant le recours à l’isolement de monsieur X ne faisait aucunement référence à un risque de dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui.

Bien au contraire, lorsque monsieur X avait été examiné par les psychiatres, les certificats médicaux indiquaient qu’il dormait, ou qu’il était calme avec une humeur neutre, ou encore qu’il était de contact facile et faisait un grand sourire durant tout l’entretien.

En revanche, à six reprises, la même erreur avait été reprise par les psychiatres dans leurs certificats médicaux. Ceux-ci affirmaient à tort qu’il avait été incarcéré pour « menaces de passage à l’acte hétéro-agressif sous forme d’attentat », alors que le tribunal correctionnel ne l’avait pas reconnu coupable de ce chef d’accusation.

Dans les motifs du jugement, il était en effet mentionné que les faits de menaces de mort étaient insuffisamment caractérisés et qu’ils ne lui étaient pas imputables. Dans le dispositif, il était en outre expressément indiqué : « Monsieur X n’a pas commis les faits de menace de mort ».

En conclusion, monsieur X a vraisemblablement été placé à l’isolement parce que les psychiatres ont cru à tort qu’il avait été incarcéré pour avoir voulu commettre des actes hétéro-agressifs. Or, le tribunal correctionnel a jugé qu’il n’avait pas commis de tels faits.

Quant aux autres appréciations figurant à son dossier, elles ne justifiaient pas un placement à l’isolement puisqu’elles décrivaient un patient soit endormi, soit calme, soit souriant et de bon contact.

Ainsi, en l’absence des conditions fixées par l’article L 3222-5-1 du code de la santé publique, il apparaissait que le placement à l’isolement de monsieur X était irrégulier et que sa mainlevée devait être ordonnée.

Or, le Premier Président de la Cour d’appel en a décidé autrement.

Il a d’abord prétendu qu’il avait été versé en cause d’appel et envoyé au conseil de monsieur X, une délégation de signature indiquant expressément que madame Y était habilitée à saisir le JLD.

Il a ensuite considéré que les médecins avaient caractérisé le risque de dommage immédiat ou imminent et que l’isolement pouvait se poursuivre au-delà du délai de 96 heures.

La cassation est intervenue sur le premier point.

En effet, à la réception de la décision du Premier Président, le cabinet LUNEAU Avocat a aussitôt écrit au greffe pour indiquer qu’il n’avait jamais reçu la délégation de signature supposée investir madame Y de la faculté de saisir le JLD. Une demande de vérification de la réalité de l’envoi a été formulée mais aucune réponse n’a jamais été apportée à ce message électronique.

La SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA a alors été sollicitée pour former un pourvoi en cassation.

L’alternative suivante s’est ensuite présentée :

  • déposer une requête en inscription de faux contre l’ordonnance du Premier Président de la Cour d’appel, au motif qu’il y est mentionné que la délégation de signature a été envoyée au cabinet LUNEAU Avocat alors que cela n’a manifestement pas été le cas, ou
  • soutenir que le magistrat de la Cour d’appel aurait dû inviter le cabinet LUNEAU Avocat à présenter ses observations sur la délégation prétendument versée en cause d’appel et qu’en ne le faisant pas, il a violé l’article 16 du code de procédure civile.

La première option étant lourde de conséquence, puisqu’elle met en cause l’intégrité du magistrat, il a été fait le choix d’invoquer la violation du principe du contradictoire et c’est sur ce fondement que la cassation est intervenue :

« 5. Pour écarter un moyen tiré de l’irrégularité de la requête émanant du directeur de l’hôpital pour défaut de délégation de signature au profit de son signataire et autoriser la prolongation de la mesure d’isolement, l’ordonnance retient qu’une délégation de signature au profit de Mme Y, indiquant expressément qu’elle avait délégation de signature pour saisir le juge des libertés et de la détention, a été versée en cause d’appel et envoyée au conseil de M. X.

 6. En statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d’office, alors que l’hôpital n’avait pas comparu à l’audience et qu’il ne résulte d’aucune pièce de la procédure d’appel que la délégation ait été versée aux débats, le premier président a violé le texte susvisé ».

La cassation a été prononcée sans renvoi puisqu’il ne restait plus rien à juger. La Cour a par ailleurs considéré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le second moyen.