Tribunal judiciaire de Bobigny
15 février 2022
N° de parquet 21328000584

Le préjudice de la victime se prouve par tous moyens : l’expertise d’un médecin, la facture d’un objet détruit ou endommagé, l’attestation d’un particulier…

Monsieur X a été victime d’un accident de la circulation sur la commune de Pantin, une nuit de novembre 2021. Les occupants du véhicule à l’origine de l’accident ont voulu le forcer à retirer une importante somme d’argent en espèces, supposée correspondre au coût des réparations à effectuer sur leur propre véhicule.

Sous la contrainte, Monsieur X a tenté de retirer la somme de 600 € à un distributeur automatique de billets. Parce qu’il n’avait pu en retirer que 50, ses quatre agresseurs l’ont roué de coups, avant de lui dérober son téléphone portable et de détruire son véhicule.

Ils ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Bobigny des chefs de violences volontaires aggravées, extorsion de fonds, vol et dégradation d’un bien appartenant à autrui. Ils ont été reconnus coupables des faits et condamnés à réparer le préjudice causé.

La victime, qui était assistée par le cabinet LUNEAU Avocat, entendait obtenir la réparation de son préjudice moral et de son préjudice matériel [1]. Elle demandait en outre le remboursement de ses frais d’avocat.

La Cour de cassation rappelle régulièrement que la victime doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit.

Elle précise que « si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit » (Cass. Crim. 13 décembre 1995, n°95-80.790).

La tâche du cabinet consistait donc à démontrer la réalité et l’ampleur des préjudices allégués.

  • Le préjudice moral correspond au choc psychologique causé à la victime, à sa souffrance morale.

Il s’agit sans aucun doute du préjudice le plus difficile à évaluer.

En l’espèce, le cabinet a fait valoir que Monsieur X avait subi une pression psychologique intense pendant près de deux heures.

En effet, après avoir été victime d’un accident de la circulation, il a été confronté, en pleine nuit, à l’hostilité de quatre personnes alcoolisées qui l’ont forcé à retirer le peu d’argent qu’il avait sur son compte, alternant les coups de tête et les pseudos « câlins » pour le contraindre à s’exécuter.

La tension nerveuse a atteint son paroxysme lorsque les quatre agresseurs ont pris conscience que leur souffre-douleur ne serait pas en mesure de payer ce qu’ils lui réclamaient. Un déluge de coups d’une rare violence s’est alors abattu sur Monsieur X.

Des caméras de vidéosurveillance ont filmé la scène de ce déferlement de violence, montrant l’un des agresseurs arriver en courant pour frapper la victime à terre, tandis qu’un autre perdait sa chaussure sous la force des coups qu’il lui portait. Le calvaire de la victime n’a cessé que lorsqu’elle a feint d’avoir perdu connaissance.

Le certificat médical, établi sur réquisition, mentionnait que Monsieur X avait pensé mourir cette nuit-là, qu’outre les douleurs qu’il endurait encore plusieurs jours après les faits, il ne trouvait plus le sommeil et appréhendait désormais de sortir de chez lui.

Compte-tenu de la gravité des souffrances infligées, une somme de 3 000 € a été demandée en réparation du préjudice moral. Le tribunal n’a cependant condamné les agresseurs qu’au payement d’une somme de 2 000 euros.

  • Le préjudice matériel correspond à l’atteinte portée au patrimoine de la victime. Pour l’évaluer de façon convaincante, il faut produire des justificatifs.

En l’espèce, le préjudice correspondait aux 50 € extorqués devant le distributeur automatique de billets (DAB), au vol du téléphone portable et à la destruction du véhicule.

  • S’agissant des 50 €, il était facile de prouver l’extorsion grâce aux caméras de vidéosurveillance du DAB.
  • En ce qui concerne le téléphone portable, il avait été retrouvé sur l’un des agresseurs. Toutefois, une difficulté se présentait : il avait été endommagé lors de l’avalanche de coups mais il était mentionné dans la procédure qu’il était déjà cassé avant les faits. La question de son remboursement au prix du neuf se posait puisqu’aux termes de la jurisprudence, la réparation du préjudice ne doit emporter « ni perte ni profit».

Le cabinet a fait valoir qu’avant l’agression, le téléphone fonctionnait parfaitement, même si l’écran était fêlé, alors que depuis l’agression, la victime ne pouvait plus prendre de photographies. La facture d’achat du téléphone a donc été produite et son remboursement demandé au prix du neuf.

Le tribunal a accueilli la demande et condamné le coupable du vol au payement d’une somme de 319 €, correspondant au montant de la facture produite.

  • La destruction du véhicule était attestée par un procès-verbal de police qui mentionnait que le véhicule était hors d’usage.

La difficulté résidait dans le fait qu’il avait été acheté l’année précédente à un particulier, d’occasion, et que le payement avait été effectué en espèces. En l’absence de facture, il était difficile de prouver sa valeur et, par conséquent, de chiffrer le préjudice de la victime.

Le vendeur a été contacté pour lui demander de rédiger une attestation aux termes de laquelle il reconnaissait avoir vendu ledit véhicule à Monsieur X pour la somme de 1 500 € réglée en espèces. Cette attestation, accompagnée de la carte d’identité du vendeur, a été jointe aux conclusions remises au tribunal.

La demande a été accueillie et les deux personnes reconnues coupables de la destruction du véhicule ont été condamnées solidairement à payer une somme de 1 500 € à la victime (seuls deux des quatre agresseurs avaient participé à la destruction du véhicule).

Enfin, il a été demandé au tribunal de condamner les quatre agresseurs à rembourser à la victime la somme de 1 800 € correspondant à ses frais d’avocat. Une facture de ce montant a été jointe aux conclusions. Là encore, le tribunal a accueilli la demande et a condamné les quatre agresseurs à payer 450 € chacun à la victime, sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale [2].

En conclusion, Monsieur X a obtenu une très bonne décision puisque ses prétentions ont toutes été accueillies par le tribunal, à l’exception de celle concernant son préjudice moral qui a été minorée de 1 000 € par rapport à la demande.

Le recouvrement des sommes auprès des condamnés risque cependant de s’avérer un peu plus laborieux…

[1] En revanche, elle n’entendait pas faire valoir de préjudice corporel. Un tel préjudice correspond aux conséquences de l’atteinte portée à l’intégrité physique. Or, malgré la violence de l’agression, Monsieur X n’a pas conservé de séquelles physiques des faits.

[2] Article 475-1 du code de procédure pénale : « Le tribunal condamne l’auteur de l’infraction […] à payer à la partie civile la somme qu’il détermine, au titre des frais non payés par l’Etat et exposés par celle-ci. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent et le tribunal tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée ».