Tribunal judiciaire de Senlis
13 avril 2023
N° de parquet 23080000009

La victime d’une tentative d’escroquerie est poursuivie pour dénonciation calomnieuse après avoir faussement prétendu que sa carte bancaire lui avait été dérobée sous la menace d’un couteau.

Un soir de décembre 2022, Madame X reçoit l’appel d’un inconnu se faisant passer pour une personne travaillant dans le service contentieux de sa banque. Il la prévient que ses comptes ont été piratés et qu’il lui faut remettre de toute urgence sa carte bancaire à son agence.

Madame X étant dans l’impossibilité de s’y rendre, l’inconnu la rassure en lui apprenant qu’elle fait partie des clients privilégiés de la banque et que ses différents abonnements lui donnent la possibilité d’avoir gratuitement recours à un coursier.

Il lui demande de couper sa carte bancaire en deux, sans abimer la puce…, de la placer dans une enveloppe et de se tenir prête à la remettre au coursier qu’il lui envoie. Dès que celui-ci arrive devant son domicile, l’inconnu la rappelle pour lui indiquer qu’elle n’a plus qu’à sortir de chez elle et lui remettre l’enveloppe.

Vingt minutes plus tard, le mari de Madame X rentre de sa journée de travail et apprend les péripéties liées au prétendu piratage du compte familial. Il appelle aussitôt la banque qui conteste avoir envoyé le moindre coursier au domicile du couple, lui recommande vivement de faire opposition à la carte puis de se rendre à la gendarmerie pour porter plainte.

Le banquier (le vrai…) indique qu’aucun virement frauduleux ne semble avoir été passé mais il ajoute qu’il ne peut pas garantir qu’entre le moment de la remise de la carte et l’opposition, des sommes n’auront pas été prélevées. Le mari rappelle alors l’inconnu avec le téléphone de sa femme pour l’agonir d’injures…

Le lendemain matin, Madame X va porter plainte et décide d’enjoliver un peu les circonstances de la remise de sa carte bleue. Redoutant que sa banque tire argument de la remise volontaire de la carte bancaire pour ne pas lui rembourser d’éventuels retraits frauduleux, elle prétend que le coursier est sorti de sa voiture en brandissant un couteau et que c’est sous la menace de cette arme qu’elle lui a remis sa carte.

Les gendarmes sont un peu surpris par ce mode opératoire inhabituel et demandent confirmation des circonstances dans lesquelles la carte a été remise au coursier. Craignant de voir s’envoler toutes ses économies, Madame X confirme sa version et s’enlise un peu plus dans son mensonge…

Les gendarmes se mettent alors en quête d’identifier l’escroc et ses complices. Ils vont vite retrouver la trace du coursier et monter un important dispositif pour l’interpeler chez lui. Dès potron minet, le coursier est appréhendé, son domicile perquisitionné et la carte bancaire retrouvée dans son enveloppe.

Or, très vite, il s’avère que le coursier est un honnête homme. S’il est encore détenteur de la carte bancaire de Madame X, c’est que l’homme qui a commandé la course, le véritable escroc, a disparu après l’appel du mari, une fois son imposture découverte.

Une confrontation est organisée entre le coursier et la victime de la tentative d’escroquerie. Après avoir tout d’abord maintenu ses déclarations, Madame X, réalisant que le coursier n’est pas le complice de l’escroc, revient sur ses accusations et l’innocente totalement.

Le coursier, qui a fort peu apprécié d’avoir été arrêté et menotté devant sa femme et ses enfants, porte plainte pour dénonciation calomnieuse et Madame X quitte alors son statut de victime pour celui de mis en cause…

Elle est convoquée devant le tribunal correctionnel de SENLIS en vue d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Cette procédure comprend deux phases.

  • La première a lieu devant le Procureur de la République qui propose une peine que la personne poursuivie est libre d’accepter ou de refuser. Dans cette seconde hypothèse, elle comparaitrait ultérieurement devant le tribunal correctionnel.
  • La seconde a lieu devant un magistrat du siège qui est appelé à homologuer (ou pas) la peine sur laquelle un accord a été trouvé.

Dans le cas présent, le Procureur a proposé une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, une peine d’amende de 1 000 euros et l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté.

Le Procureur étant ouvert à la discussion, le cabinet a fait valoir qu’une peine d’emprisonnement, fut-elle prononcée avec sursis, apparaissait excessive pour sanctionner une personne inconnue de la justice, qui est avant tout une victime (même s’il est vrai qu’elle a ensuite eu une réaction inappropriée pour tenter de protéger ses biens).

Son « petit » mensonge visait une personne qu’elle croyait complice de l’escroc. A aucun moment elle n’avait imaginé causer du tort à un innocent. Lorsque, durant la confrontation, elle a pris conscience du fait que cet homme avait été traité comme un malfaiteur par sa faute, elle l’a immédiatement innocenté et s’est confondue en excuse. Le Procureur en est convenu et a accepté de supprimer la peine d’emprisonnement.

Le cabinet lui a ensuite fait observer que Madame X avait de faibles revenus et que la peine de 1 000 euros apparaissait elle aussi un peu excessive. Décidément compréhensif, le Procureur a bien voulu que cette peine de 1 000 euros soit infligée avec sursis pour la moitié de la somme.

Madame X s’est donc finalement vu proposer l’accomplissement d’un stage de citoyenneté et une amende de 1 000 € dont 500 € avec sursis. Sur le conseil du cabinet, elle a accepté cette peine et nous nous sommes présentés devant le juge appelé à l’homologuer.

Le mieux est parfois l’ennemi du bien et il s’en est fallu de peu que Madame X le constate à ses dépens.

L’audience s’est en effet déroulée dans la douleur car le magistrat considérait la peine proposée beaucoup trop clémente. Il semblait même déterminé à refuser de l’homologuer, ce qui aurait conduit Madame X à devoir répondre des faits devant le tribunal correctionnel. Le magistrat lui reprochait notamment le coût des investigations effectuées par la gendarmerie à la suite de ses déclarations mensongères.

Le cabinet a rappelé que le jour des faits, quatre autres personnes avaient été dépouillées de leurs économies et que si le coursier était effectivement innocent, Madame X avait bien subi une tentative d’escroquerie. Les investigations menées par la gendarmerie, qui visaient d’abord à identifier l’escroc, n’avaient donc pas été réalisées en pure perte.

L’absence de la partie civile à l’audience, conjuguée à l’attitude de sincère contrition de Madame X, a finalement permis d’arracher une homologation qui paraissait, à un moment des débats, devoir lui être refusée.

Quoi qu’il en soit, le petit mensonge de Madame X lui aura coûté fort cher, alors même qu’aucun retrait frauduleux n’a finalement été effectué sur son compte…