Tribunal judiciaire de Nanterre
14 décembre 2021 – N° de parquet 20120000001
Un premier expert psychiatre conclut à l’absence de troubles psychiques ou neuropsychiques du mis en cause ; un second conclut à l’abolition de son discernement. Le juge décide qu’il est irresponsable pénalement, conformément à l’article 122-1 du code pénal, mais le condamne à réparer le préjudice causé, conformément à l’article 414-3 du code civil.
En avril 2020, Monsieur X est placé en garde à vue pour des menaces de mort réitérées et des troubles contre la tranquillité d’autrui par agressions sonores.
Le même jour, une expertise psychiatrique est ordonnée. Elle prend la forme d’un entretien d’une vingtaine de minutes mené par un psychiatre qui conclut que le prévenu ne présente aucun trouble psychique ayant aboli ou même simplement altéré son discernement. Le psychiatre précise en outre que le prévenu ne risque pas de compromettre l’ordre public et la sûreté des personnes et que son état ne nécessite pas d’hospitalisation en milieu spécialisé.
Or, ces conclusions sont contredites :
- d’une part, par les circonstances dans lesquelles les faits ont été commis, telles qu’elles ont été rapportées par les plaignants et les policiers [1] et
- d’autre part, par l’hospitalisation de Monsieur X dans les semaines qui ont suivi les faits, au sein d’une unité de soins psychiatriques où il sera assisté par le cabinet LUNEAU Avocat.
Cette hospitalisation a été décidée par le Préfet sur le fondement d’un certificat médical mentionnant que « les troubles mentaux de [Monsieur X] nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public et rendent nécessaire son admission en soins psychiatriques ».
Monsieur X reste plus d’un mois dans l’établissement psychiatrique où il a été admis et n’en ressort qu’en juin 2020 avec un traitement lourd à suivre sur une longue durée. Dans ces conditions, le cabinet LUNEAU Avocat, qui assiste désormais le prévenu devant le tribunal correctionnel, demande qu’il soit ordonné une contre-expertise psychiatrique afin d’évaluer l’existence d’une cause d’irresponsabilité pénale qui apparaît plus que probable.
Malgré l’opposition de la partie civile et du procureur de la République, le vice-président du tribunal correctionnel de Nanterre décide de faire droit à cette demande pour deux motifs :
- d’une part, parce que les certificats médicaux produits aux débats renfermaient des indications précises sur l’état mental du mis en cause, les symptômes de sa maladie et de son évolution et,
- d’autre part, en raison de la proximité entre la date de son hospitalisation et celle de la dernière plainte de la partie civile.
Une nouvelle expertise est donc ordonnée par le tribunal et l’examen du dossier au fond est renvoyé au 14 décembre 2021.
Au cours de cette seconde audience, il est admis que Monsieur X souffre d’importants troubles psychiatriques.
Ces troubles ont en effet été constatés par l’expert désigné par le tribunal qui a conclu :
- d’une part, qu’au moment des faits qui lui sont reprochés, Monsieur X était atteint de troubles ayant ABOLI son discernement et le contrôle de ses actes ;
- d’autre part, que les infractions qui lui sont reprochées sont en relation avec sa maladie mentale ;
- enfin, qu’il n’est pas accessible à une sanction pénale qui ne prendrait pas de sens dans ce contexte clinique.
Il ressort de ces conclusions qu’au moment des faits, l’élément moral des infractions reprochées à Monsieur X n’existait pas et qu’il ne pouvait donc pas voir sa responsabilité pénale engagée. Pour autant, sa responsabilité civile pouvait l’être car son comportement avait pu causer un préjudice qu’il appartenait au tribunal d’évaluer.
En application de l’article 706-133 du code de procédure pénale [2], le tribunal correctionnel de Nanterre a finalement :
- déclaré que Monsieur X n’avait pas commis les faits qualifiés de menaces de mort [3];
- déclaré que Monsieur X avait commis les faits qualifiés de troubles à la tranquillité d’autrui par agressions sonores.
En application de l’article 414-3 du code civil [4], Monsieur X a été condamné à réparer le préjudice moral qu’il a causé à deux de ses voisins, à hauteur de 1 500 € pour chacun d’eux.
Le tribunal a rendu une décision équilibrée en déclarant Monsieur X irresponsable pénalement, suivant en cela les conclusions de l’expert judiciaire, tout en le condamnant à réparer le préjudice moral causé par les troubles à la tranquillité publique qui lui ont été imputés. Cette décision est conforme au principe suivant lequel une personne qui cause un dommage sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins tenue de le réparer [5].
[1] Avant que Monsieur X ne soit placé en garde à vue, de nombreuses mains courantes avaient été déposées et les policiers s’étaient déplacés à plusieurs reprises à son domicile. Les commentaires qui avaient été faits, tant par les voisins de Monsieur X, devenus parties civiles, que par les policiers, étaient assez éloquents :
- ses voisins évoquaient les crises durant lesquelles Monsieur X était pris d’une forme de possession ou de double personnalité. Entendu sur procès-verbal, l’un d’eux indiquait même : « son état s’est dégradé, je pense qu’il est malade et ces nuisances en sont le résultat» ;
- quant aux policiers, dans leurs comptes-rendus de main courante, ils écrivaient en 2019 : « Précisons que le requérant n’a pas l’air de jouir de toutes ses facultés mentales» et en 2020 : « Pour la énième fois avons tenté de raisonner Mr [X] qui ne tenait que des propos incohérents paraissant toujours ne pas jouir de toutes ses facultés mentales ».
[2] Article 706-133 du code de procédure pénale : « S’il estime que les dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal sont applicables, le tribunal correctionnel rend un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par lequel :
1° Il déclare que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés ;
2° Il déclare la personne irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;
3° Il se prononce sur la responsabilité civile de la personne auteur des faits, conformément à l’article 414-3 du code civil, et statue, s’il y a lieu, sur les demandes de dommages et intérêts formées par la partie civile ; […] ».
[3] Le cabinet LUNEAU Avocat a rappelé, lors de l’audience, que Monsieur X avait toujours contesté ces faits et qu’en tout état de cause, à les supposer commis, il était admis qu’ils n’avaient pas été réitérés, condition requise pour que l’infraction soit constituée.
[4] Article 414-3 du code civil : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. »
[5] Ce principe a été instauré par la loi n°68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs pour mettre fin à la jurisprudence suivant laquelle la responsabilité pénale, mais aussi civile, des personnes atteintes d’un trouble mental ne pouvait pas être engagée du fait de leurs actes.