Cour d’appel de Paris,
28 avril 2023
Ordonnance N°192
Monsieur X a voulu saisir la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) pour l’informer des circonstances litigieuses de son hospitalisation contrainte. La CDSP ne se réunissant plus en Seine-et-Marne, faute de psychiatres, la Cour d’appel de Paris a considéré que l’atteinte portée aux droits du patient, compte-tenu du contexte dans lequel des soins psychiatriques lui étaient imposés, justifiait la mainlevée de son hospitalisation.
En mars 2022, Monsieur X a été hospitalisé à la demande du représentant de l’Etat. Quatre mois plus tard, les médecins ont considéré qu’il pouvait rentrer chez lui en suivant un programme de soins. Monsieur X est donc retourné à son domicile avec un traitement qu’il a scrupuleusement respecté. Chaque mois, il s’est rendu à l’hôpital, conformément au programme établi, sans jamais manquer un seul rendez-vous.
Toutefois, à chacune de ses visites à l’hôpital, il a signalé les effets secondaires de son traitement et expressément demandé à ce que celui-ci soit modifié, sans que jamais ses doléances ne soient entendues.
Au mois de mars 2023, il a oublié son rendez-vous et a aussitôt été contacté par son médecin. Monsieur X s’est immédiatement rendu à l’hôpital où il lui a été annoncé qu’il était de nouveau placé en hospitalisation complète, à l’isolement de surcroît, et qu’il ne serait donc pas autorisé à rentrer à son domicile.
Le directeur de cabinet du Préfet de Seine-et-Marne a saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) d’une requête tendant à obtenir l’autorisation de prolonger cette hospitalisation au-delà de douze jours. Le JLD du tribunal judiciaire de Meaux a autorisé cette prolongation. Monsieur X s’est alors adressé au cabinet LUNEAU Avocat pour qu’il interjette appel de cette décision.
Devant la Cour d’appel de Paris, le cabinet a soulevé quatre moyens :
- l’irrecevabilité de la requête ayant saisi le JLD ;
- l’absence d’information de la commission départementale des soins psychiatriques de Seine-et-Marne ;
- l’absence de fondement juridique aux soins contraints subis par Monsieur X entre le 20 avril 2022 et le 20 janvier 2023, et enfin,
- l’atteinte disproportionnée à sa liberté, causée par une ré-hospitalisation forcée injustifiée.
La Cour d’appel de Paris a retenu le premier moyen sans même examiner les trois autres. Elle a en effet rappelé qu’ « il appartient au juge judiciaire de vérifier la régularité de l’acte qui le saisit, y compris au regard de la qualité du signataire de la requête ».
En l’espèce, la Cour n’a pu que constater, comme l’y invitait le cabinet, « qu’il ne résulte pas de l’examen des documents produits que la requête aux fins de saisine du juge des libertés et de la détention en matière de soins sans consentement figure sur la liste des actes faisant l’objet d’une délégation […] ». La Cour d’appel de Paris en a conclu qu’il lui appartenait « de constater l’irrecevabilité de la requête de M. le Préfet de Seine-et-Marne ».
En conséquence, elle a jugé qu’« En l’absence de requête régulière ayant permis au juge des libertés et de la détention de statuer dans le délai légal […] sur la mesure d’hospitalisation complète imposée à M X, il [convenait] de constater la levée de la mesure, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens de l’appelant […] ».
Malgré la décision de la Cour d’appel de Paris, Monsieur X a été empêché de sortir de l’hôpital. Sa mère a alors prévenu le cabinet LUNEAU Avocat qui a aussitôt écrit au Directeur de l’établissement pour lui rappeler qu’en s’opposant à l’exécution d’une décision judiciaire, il était susceptible d’engager sa responsabilité pénale sur le fondement de l’article L 3215-1 du code de la santé publique (CSP) [1].
Le cabinet n’a reçu aucune réponse à sa correspondance et Monsieur X s’est vu notifier, le 4 avril 2023, un nouvel arrêté portant admission en soins psychiatriques, signé du Préfet de Seine-et-Marne en personne.
Par arrêté du 7 avril 2023, son directeur de cabinet (fort de sa toute nouvelle délégation de signature…) a décidé de maintenir les soins psychiatriques sans consentement de Monsieur X, sous la forme d’une hospitalisation complète. Il a également saisi le JLD d’une requête datée du 7 avril 2023, tendant à autoriser la poursuite de son hospitalisation complète au-delà de douze jours, à laquelle le JLD de Meaux a fait droit par ordonnance du 11 avril 2023.
C’est cette nouvelle ordonnance qui a été déférée à la censure de la Cour d’appel de Paris.
Le cabinet a soulevé trois moyens.
- En premier lieu, le défaut d’information de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) de Seine-et-Marne.
- En deuxième lieu, l’absence d’évaluation médicale par le collège mentionné à l’article L 3211-9 du CSP.
- Et enfin, l’absence d’atteinte à l’ordre public ou de menace contre la sûreté des personnes imputable à Monsieur X.
- Sur le défaut d’information de la CDSP de Seine-et-Marne.
L’étude du dossier de Monsieur X montre que la CDSP n’a pas été avisée de son hospitalisation et que l’intéressé n’était pas non plus en mesure de la saisir puisque de l’aveu même de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, « la CDSP du département ne fonctionne plus depuis l’été dernier [été 2022] ».
Or, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt n°21-21.370 du 18 janvier 2023, que « le défaut d’information de la commission des décisions d’admission peut porter atteinte aux droits de la personne concernée et justifier une mainlevée de la mesure ».
Le cabinet a donc fait valoir que dès lors que la CDSP n’avait pas été avisée de l’arrêté du 4 avril 2023 portant admission de Monsieur X en soins psychiatriques contraints, il en était résulté une atteinte à ses droits qui justifiait la mainlevée de son hospitalisation.
Le JLD de Meaux, dans son ordonnance du 11 avril 2023, avait déclaré, pour rejeter le moyen, qu’il n’était pas justifié « qu’il serait toujours impossible de réunir la commission » et qu’il n’était pas davantage démontré que Monsieur X aurait tenté de la saisir.
Dans la mesure où l’agence régionale de santé (ARS) avait écrit au greffe de la Cour d’appel de Paris, le 28 mars 2023, que la CDSP du département de Seine-et-Marne ne fonctionnait plus depuis l’été 2022, Monsieur X n’avait pas jugé utile de s’adresser à elle moins d’une semaine après le message de l’ARS.
Mais puisque le JLD de Meaux semblait considérer que l’hypothèse d’une réunion de ladite commission était crédible, Monsieur X l’a donc saisie, par l’intermédiaire de son avocat, par lettre du 13 avril 2023. Bien évidemment, aucune suite n’a été réservée à cette correspondance, comme le laissait présager le message du 28 mars 2023.
En conséquence, l’absence de CDSP dans le département de la Seine-et-Marne constituait bien une atteinte manifeste aux droits de Monsieur X, dès lors que celui-ci justifiait avoir tenté de la saisir et qu’il avait de nombreux griefs à faire valoir.
Une telle situation justifiait donc la mainlevée de l’hospitalisation de Monsieur X.
- Sur l’absence d’évaluation médicale par le collège mentionné à l’article L 3211-9 du CSP.
Aux termes de l’article L 3212-7 du CSP : « […] Lorsque la durée des soins excède une période continue d’un an à compter de l’admission en soins, le maintien de ces soins est subordonné à une évaluation médicale approfondie de l’état mental de la personne réalisée par le collège mentionné à l’article L. 3211-9. […] ».
Monsieur X faisait l’objet de soins psychiatriques sans consentement depuis le 22 mars 2022. La prise en charge a d’abord pris la forme d’une hospitalisation complète, puis d’un programme de soins avant que Monsieur X ne soit ré-hospitalisé contre son gré le 6 mars 2023.
Même si la mainlevée de son hospitalisation a été ordonnée par la Cour d’appel de Paris le 3 avril 2023, les soins contraints de Monsieur X n’ont jamais cessé depuis le 22 mars 2022.
Monsieur X faisant l’objet de soins contraints depuis plus d’un an, le collège mentionné à l’article L 3211-9 du CSP aurait donc dû effectuer une évaluation médicale approfondie de son état mental. Or, tel n’a pas été le cas.
En conséquence, conformément au quatrième alinéa de l’article L 3212-7 du CSP, le défaut de production de l’avis du collège devait aussi entraîner la levée de la mesure de soins.
Le JLD de Meaux a feint de considérer que « M. X [avait] été admis en soins le 3 avril 2023 à 17 h 30, soit depuis moins d’un an », précisant que : « La mesure d’hospitalisation qu’il convient de prendre en considération pour calculer la durée des soins est la mesure en cours, à l’exclusion des mesures antérieures auxquelles il a été précédemment mis fin ou qui ont été levées ».
Or, en l’espèce, si la Cour d’appel de Paris avait effectivement levé la mesure d’hospitalisation dont Monsieur X faisait l’objet, il n’y avait jamais été mis fin.
Le cabinet a fait valoir que le fait de vouloir priver Monsieur X « d’une évaluation médicale approfondie de [son] état mental », alors même qu’il réclame depuis huit mois une adaptation de son traitement et alors même que la CDSP ne fonctionne plus, constituait une nouvelle atteinte à ses droits justifiant la mainlevée de son hospitalisation.
- Sur l’absence d’atteinte à l’ordre public ou de menace contre la sûreté des personnes imputable à Monsieur X.
Le certificat médical initial du 3 avril 2023, sur lequel s’est fondé l’arrêté du 4 avril 2023 pour admettre Monsieur X en soins psychiatriques contraints sous la forme d’une hospitalisation complète, ne fait référence à aucun fait récent susceptible de compromettre la sûreté des personnes ou de porter atteinte à l’ordre public.
Le seul élément concret auquel il est fait référence est le passage à l’acte hétéro-agressif du mois de mars 2022, qui est à l’origine de l’arrêté du 23 mars 2022 marquant l’entrée dans les soins psychiatriques contraints de Monsieur X.
Or, il ne lui a plus jamais été reproché aucun comportement de cette nature depuis lors.
En revanche, il est constant que Monsieur X n’a eu de cesse de demander une adaptation de son traitement pour en diminuer les effets secondaires qui perturbent la préparation de ses examens. Il se destine en effet à la profession d’avocat et le traitement qu’il suit scrupuleusement depuis un an l’empêche de se concentrer et de se préparer dans de bonnes conditions aux épreuves qu’il doit passer.
Pendant son programme de soins, il a donc fait part de ses préoccupations à chacune de ses visites mensuelles.
Pendant plus de six mois, Monsieur X a signalé les effets difficilement supportables de son traitement et a demandé qu’il soit adapté. En cela, il n’a fait qu’exercer les droits que lui reconnaissent les articles L 1111-4 et L 3211-1 du CSP, en demandant à être associé aux choix thérapeutiques qui le concernent au premier chef.
A aucun moment, depuis les faits à l’origine de sa première hospitalisation, Monsieur X ne s’est montré violent ou menaçant. Bien au contraire, chacun des dix certificats médicaux qui ont été joints à la déclaration d’appel mentionnait son calme et/ou le fait qu’il n’avait aucune velléité hétéro-agressive.
Monsieur X, qui aspirait seulement à pouvoir mener de front son combat contre ses troubles psychiatriques et la réussite de ses projets professionnels, ne compromettait ni l’ordre public ni la sûreté des personnes. Son hospitalisation complète étant injustifiée, il a donc été demandé que sa mainlevée soit également ordonnée de ce chef.
La Cour d’appel a une nouvelle fois ordonné la mainlevée de l’hospitalisation de Monsieur X en accueillant le premier moyen soulevé, sans se prononcer sur la pertinence des deux autres [2].
Elle a en effet admis, au regard des pièces qui lui ont été soumises, que « la CDSP de Seine-et-Marne n’exerce plus actuellement ses missions, notamment faute de psychiatre, et ce depuis l’été 2022 ».
Elle a relevé que « le conseil de Monsieur X a bien adressé à cette commission une lettre recommandée avec accusé de réception le 13 avril 2023 restée […] sans aucune suite […] ».
La Cour d’appel précise que l’attention de la CDSP était attirée sur le fait que malgré l’ordonnance du 3 avril 2023 ordonnant la mainlevée de la mesure dont Monsieur X faisait l’objet, il a été empêché de sortir de l’hôpital, y a été maintenu contre son gré et qu’il a fait l’objet d’un nouvel arrêté d’admission du représentant de l’Etat notifié le 4 avril 2023.
La Cour considère que « la procédure est entachée d’irrégularité et que l’absence d’information effective de la décision d’admission en soins psychiatriques de Monsieur X a porté atteinte à ses droits, et ce d’autant plus dans un contexte où, de fait, il fait concrètement l’objet de soins sans consentement depuis plus d’un an, il a pendant un certain temps contesté le traitement médicamenteux qui était le sien et il conteste les circonstances de la fin de la précédente mesure d’hospitalisation complète et l’enchaînement avec la mesure suivante objet de la présente instance, sans avoir pu saisir utilement ladite commission ».
En conséquence de cette irrégularité, la Cour d’appel a une nouvelle fois ordonné la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète de Monsieur X. Cette fois-ci, la décision a bien été exécutée et l’intéressé a enfin pu regagner son domicile.
[1] L’article L 3215-1 du CSP dispose : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende :
1° Le fait pour le directeur d’un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 de maintenir la mesure de soins psychiatriques dont une personne fait l’objet, quelle qu’en soit la forme, lorsque la levée de la mesure est ordonnée par le représentant de l’Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police en application ou de l’article L. 3213-4, ou par le juge des libertés et de la détention en application des articles L. 3211-12 ou L. 3211-12-1, ou lorsque la mesure de soins doit être levée en application des articles L. 3212-4, L. 3212-7, L. 3212-8, L. 3212-9 ou L. 3213-4 ; […] ».
[2] « Il convient donc d’infirmer l’ordonnance querellée […] sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés ».