JLD de Nanterre,
28 octobre 2022
Ordonnance N°22/1730

En l’absence de troubles psychiques caractérisés, une hospitalisation contrainte dans un établissement psychiatrique n’est pas justifiée ; sa mainlevée doit donc être ordonnée.

Un père et son fils cohabitent très difficilement. Quand le fils abandonne ses études à quelques mois de l’obtention de son diplôme et qu’il s’isole dans sa chambre pour y produire des œuvres d’art, essentiellement des dessins, leurs relations se tendent davantage encore et le père finit par demander l’hospitalisation en urgence de son fils dans un établissement psychiatrique.

L’article L. 3212-3 du code de la santé publique prévoit qu’« En cas d’urgence, lorsqu’il existe un risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade, le directeur d’un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 peut, à titre exceptionnel, prononcer à la demande d’un tiers l’admission en soins psychiatriques d’une personne malade au vu d’un seul certificat médical […] ».

En l’espèce, le certificat médical sur lequel avait été fondée l’hospitalisation évoquait des troubles du comportement à domicile avec « notion d’hétéroagressivité », ainsi que des menaces de violences, sans autre précision.

Or, que recouvrent les termes : « notion d’hétéroagressivité » ? Y avait-il eu des actes violents commis par le fils sur son père ? Uniquement des menaces ? Les propos échangés avaient-ils dépassé le cadre d’une simple dispute où étaient-ils révélateurs de troubles psychiques ? En quoi caractérisaient-ils le « risque grave d’atteinte à l’intégrité » exigé par la loi pour qu’une hospitalisation contrainte puisse être ordonnée sur le fondement d’un seul certificat médical ? Rien, dans les différents certificats médicaux, ne permettait de répondre à ces questions.

A l’audience, le jeune patient convenait que la cohabitation avec son père était devenue impossible mais il contestait le fait d’être atteint de troubles psychiques. Il aspirait à quitter le domicile familial et semblait avoir des pistes sérieuses pour pouvoir s’installer chez des membres de sa famille proche.

La lecture des certificats médicaux ne permettait pas de discerner ce qui relevait de la psychiatrie ou d’un différend familial. A cet égard, l’ « avis psychiatrique motivé accompagnant la saisine du juge des libertés et de la détention » comprenait une phrase redoutable.

En effet, après avoir constaté que le contact avec le patient était cordial, que ledit patient était de bonne présentation, qu’il n’était pas retrouvé d’éléments délirants patents dans son discours, le médecin critiquait sa « quête excessive de vouloir nous prouver qu’il n’a pas sa place à l’hôpital psychiatrique ».

Le patient se retrouvait donc dans une situation infernale : soit il convenait qu’il avait des troubles psychiques et son hospitalisation apparaissait dès lors parfaitement justifiée, soit il tentait désespérément, par un discours argumenté, de démontrer qu’il n’avait pas sa place dans un hôpital psychiatrique et cela devenait suspect aux yeux du médecin qui y voyait une « quête excessive » de vouloir prouver qu’il n’avait rien à y faire.

Le juge des libertés et de la détention (JLD) a été sensible aux arguments avancés lors de l’audience ; il a en effet décidé de mettre sa décision en délibéré, le temps pour l’hôpital de produire un certificat de situation décrivant précisément les troubles psychiques justifiant l’hospitalisation contrainte.

En fin de journée, un certificat plus détaillé était communiqué au juge qui le transmettait au cabinet, afin que le principe du contradictoire soit respecté.

Une note en délibéré a aussitôt été rédigée et transmise au juge pour souligner le profond décalage entre les débats lors de l’audience et les déclarations du médecin dans son certificat.

  • En effet, en premier lieu, le médecin psychiatre soutenait que le patient banalisait les difficultés présentées au domicile.

Or, l’audience avait démontré le contraire. Le patient avait pleinement conscience des difficultés rencontrées au quotidien avec son père puisqu’il considérait que son déménagement était devenu indispensable à brève échéance.

  • En deuxième lieu, le médecin évoquait une symptomatologie, rapportée par l’entourage, justifiant l’hospitalisation. Il semblerait toutefois que seul le père ait pu décrire la symptomatologie de son fils sur plusieurs semaines

Or, compte-tenu de la nature de leurs relations, il apparaissait inconcevable qu’une hospitalisation contrainte fut décidée sur la foi des seules déclarations d’une personne en conflit ouvert avec le patient.

  • En troisième lieu, le médecin évoquait un « repli autistique» également en décalage avec les déclarations du patient à l’audience. En effet, d’une part, celui-ci contestait avoir rompu toutes relations sociales, d’autre part, il avait exprimé son souhait d’achever ses études interrompues, et enfin, ses projets de déménagement apparaissent infirmer le « repli autistique » allégué.
  • En dernier lieu, le psychiatre prétendait que le patient serait dans l’incapacité de consentir aux soins dont il aurait besoin.

Au-delà de la question de savoir s’il avait ou non besoin de soins, le patient avait admis, au cours de l’audience, que l’hospitalisation lui avait fait du bien ; il n’était d’ailleurs pas hostile à sa poursuite quelques jours, même s’il souhaitait que la levée de l’hospitalisation complète fut ordonnée.

Son comportement à l’audience conduisait donc à penser qu’il pourrait accepter de suivre un programme de soins, s’il lui en était proposé un.

A l’issue des débats et des échanges qui se sont poursuivis après l’audience, le JLD  a relevé que le certificat médical d’admission comprenait des motifs très succincts, « sans développement des troubles mentaux qui auraient été observés […] et qui démontreraient un risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade ».

Il en a conclu que le certificat n’était pas de nature à caractériser l’urgence telle que définie par l’article L 3212-3 du code de la santé publique et que cela constituait une irrégularité faisant nécessairement grief au patient.

Le JLD a en outre souligné que, sur le fond, il n’avait pas été mis en évidence, dans les certificats, d’éléments délirants ou suicidaires ni de comportement agressif, soulignant que le patient était présenté comme de contact plutôt facile et qu’il était calme dans le service. En conséquence, il était « difficile de distinguer ce qui relève d’un conflit familial et d’un vécu persécutif ».

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le JLD a décidé d’ordonner la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète.