TA Cergy-Pontoise,
23 septembre 2024
Décision N°2402343
L’article L441-2-3 du code de la construction et de l’habitation ouvre aux personnes que leurs conditions de logement exposent à des risques personnels graves la possibilité de saisir sans délai la commission de médiation (COMED), afin qu’elle les désigne comme prioritaires et devant être relogés d’urgence.
Ces risques peuvent être liés aux caractéristiques physiques de locaux insalubres ou dangereux, mais ils peuvent également découler d’une situation d’insécurité liée à des actes commis sur une personne particulièrement vulnérable. Tel était le cas de la mère d’un enfant autiste victime des violences psychologiques commises par son conjoint alcoolique.
Madame X a formé un recours devant la commission de médiation du département des Hauts-de-Seine tendant à ce qu’elle soit reconnue prioritaire dans l’attribution d’un logement social en invoquant deux motifs :
- l’attente d’un logement social depuis un délai supérieur au délai fixé par arrêté préfectoral ;
- un logement inadapté au handicap du requérant ou d’une personne à sa charge.
Par décision du 6 septembre 2023, son recours a été rejeté. Madame X a alors présenté un recours gracieux qui a également été rejeté par décision du 22 novembre 2023.
Elle a ensuite mandaté le cabinet LUNEAU Avocat pour qu’il conteste la décision de la COMED devant le tribunal administratif de CERGY-PONTOISE.
Dans la requête présentée au tribunal, le cabinet soutenait qu’une demande de logement social, renouvelée chaque année pendant neuf ans, sans qu’aucune proposition ne soit jamais formulée, caractérisait un délai d’attente anormalement long, impliquant que la demande soit désormais considérée comme prioritaire et urgente.
Il a également soutenu que le logement était inadapté au handicap de l’enfant du couple. Le Haut Comité pour le droit au logement a proposé une définition de l’inadaptation d’un logement aux différentes situations de handicap à partir de certains critères.
En l’espèce, l’enfant, qui présente un trouble du neurodéveloppement sévère, se trouvait contraint d’habiter dans un logement inadapté à son hypersensibilité auditive car il n’était pas en mesure de s’isoler ou de dormir dans une chambre non partagée, alors que plusieurs médecins attestaient de ce besoin primordial.
Enfin, le cabinet avait également abordé dans sa requête les violences conjugales dénoncées par sa cliente.
La naissance d’un enfant gravement handicapé avait en effet profondément affecté la relation du couple. Le père de l’enfant s’était réfugié dans l’alcool et avait adopté un comportement odieux à l’égard de sa conjointe, lui imputant la responsabilité du handicap de leur fils. Il ne l’avait jamais brutalisée physiquement. En revanche, lorsqu’il était alcoolisé, ce qui se produisait très souvent, il l’injuriait et lui reprochait de ne pas avoir été « capable de faire un enfant normal ».
Madame X avait déposé plusieurs mains courantes, notamment lorsque les injures ou les humiliations lui devenaient insupportables et qu’elle était amenée à quitter le domicile conjugal pour se réfugier chez sa mère ou sa sœur avec son enfant.
Madame X était psychologiquement épuisée par cette situation. Elle consultait une psychologue depuis plusieurs années. Celle-ci l’aidait à supporter les humiliations qu’elle subissait en permanence. Elle avait accepté d’attester de la fatigue psychique de madame X et de la nécessité pour elle de disposer d’un logement social où elle pourrait élever son fils plus sereinement.
Au mois de mai 2023, alors qu’il était de nouveau alcoolisé, le conjoint de madame X, la suspectant d’adultère, l’avait injuriée et menacée d’aller « saigner comme un porc » l’homme qu’il soupçonnait d’entretenir une relation avec elle. Quelques jours plus tard, madame X recevait 22 appels en absence durant une même matinée. Effrayée par l’attitude de plus en plus vindicative de son conjoint, elle décidait alors de porter plainte contre lui.
Ainsi, madame X se trouvait contrainte de vivre depuis des années avec son fils atteint d’une maladie génétique rare, aux côtés d’un conjoint alcoolique qui l’injuriait et lui reprochait en permanence le handicap de leur enfant. Ils n’avaient plus de vie de couple mais se trouvaient contraints de vivre sous le même toit car ils n’avaient pas les moyens matériels d’assumer chacun le coût d’un logement.
C’est cette situation qui a déterminé le tribunal administratif de CERGY-PONTOISE à considérer que madame X devait « être regardée comme établissant l’existence d’une situation d’insécurité de son logement actuel liée à des actes commis de manière habituelle créant pour son fils et elle-même des risques graves. »
Le tribunal en a conclu qu’« en refusant de reconnaître sa demande de logement social comme prioritaire et urgente, la commission de médiation des Hauts-de-Seine a fait de sa situation une appréciation manifestement erronée. ».
Il a en outre précisé qu’« Eu égard au motif d’annulation retenu, le présent jugement implique nécessairement que la [COMED] reconnaisse le caractère prioritaire et urgent de la demande de logement social […] ».
Aujourd’hui, madame X a emménagé dans un logement social adapté au handicap de son fils et a pu retrouver un peu de sérénité.