Tribunal correctionnel de Bourges
15 janvier 2024
N° de parquet 23355/11
Expliquer sans excuser, ménager la victime et présenter le prévenu sous un jour favorable.
Une famille se déchire, des violences sont commises, le mari (Monsieur X) est placé en garde à vue et le cabinet LUNEAU Avocat est sollicité pour l’assister.
Il s’agit d’un homme qui a déjà été condamné pour ce motif et que le cabinet a déjà assisté par le passé pour des faits similaires, ainsi que pour des conduites en état alcoolique ou après avoir fait usage de stupéfiants.
Un déferrement suivi d’une comparution immédiate apparaît très probable. Compte-tenu des faits dont il est accusé, le risque de placement en détention est très élevé.
Pour assister au mieux son client, le cabinet considère qu’un délai est nécessaire et qu’un jugement en comparution immédiate le conduirait tout droit en prison.
Devant le juge des libertés et de la détention (JLD), qui doit décider si le prévenu comparaîtra libre ou s’il attendra la date de l’audience en détention, trois éléments sont avancés :
- le prévenu dispose d’une possibilité d’hébergement à plus de 300 kilomètres du domicile de la victime. Le risque de réitération des faits apparaît donc maîtrisé si le JLD prononce une interdiction d’entrer en contact avec la victime ;
- le prévenu a un casier judiciaire comprenant plusieurs condamnations mais elles sont toutes contradictoires, ce qui signifie que l’intéressé a toujours été présent lors de ses audiences. Le risque de fuite apparaît donc mesuré ;
- enfin, le prévenu peut prouver qu’il a un rendez-vous médical chez un addictologue dans la semaine suivant les faits, ce qui montre que ses problèmes d’alcool, qui sont en partie à l’origine des faits, font l’objet d’un traitement qui a d’ores et déjà commencé.
Le JLD, sensible aux arguments exposés, accepte de laisser Monsieur X en liberté sous contrôle judiciaire dans l’attente de son jugement prévu le 15 janvier 2024, soit environ six semaines après les faits. Il s’agit désormais de mettre à profit ce délai pour préparer au mieux la défense du client. Celle-ci obéira à trois règles :
- expliquer les causes des violences sans les excuser I/
- ménager la victime sans occulter les éléments utiles à la défense du prévenu II/
- présenter le client sous le jour le plus favorable III/.
I/ Expliquer sans excuser.
Si rien ne justifie des violences conjugales, le tribunal va malgré tout chercher à connaître le contexte dans lequel elles ont été commises et le cabinet va mettre en lumière les éventuelles circonstances atténuantes susceptibles d’atténuer la responsabilité de son client.
En l’espèce, il est important d’expliquer que Monsieur X se réfugie dans l’alcool dès qu’il va mal et que, depuis quelques mois, il a de nombreuses raisons d’aller mal…
Alors que sa mère est décédée lorsqu’il était très jeune, il vient de perdre son père. Quelques mois plus tard, il a appris que sa plus jeune fille était atteinte d’une maladie très grave. Enfin, depuis plusieurs semaines, sa sœur fait circuler une rumeur suivant laquelle il aurait abusé d’elle lorsqu’ils étaient enfants [1].
Ces accusations d’inceste n’ont fait l’objet d’aucune plainte mais uniquement de confidences dans l’entourage familial et amical. Elles sont devenues un sujet de conversation récurrent au sein du couple, amenant l’épouse de Monsieur X à considérer que son mari n’était peut-être pas apte à s’occuper de leurs filles.
Le fait que son épouse puisse donner du crédit à de telles accusations a été à l’origine de la dispute qui va dégénérer en violences conjugales. Ce jour-là, Monsieur X était ivre et fou de colère. Ce sont les actes qu’il a commis dans ces circonstances qui vont entraîner sa comparution devant le tribunal correctionnel de Bourges.
Ces violences sont inacceptables et injustifiables. Elles sont cependant survenues dans un contexte qui doit être connu du tribunal, non pas pour les excuser, mais pour expliquer comment un homme peut perdre le contrôle de lui-même et commettre des faits qu’il regrette et dont il a honte.
Alors que plus personne aujourd’hui ne donne le moindre crédit aux accusations d’inceste formulées par sa sœur, Monsieur X doit maintenant assumer les actes qu’il a commis à l’encontre de sa femme.
Les assumer signifie d’abord les reconnaître dans toute leur ampleur. Ainsi, après avoir contesté, durant sa garde à vue, la commission de certains actes, Monsieur X a fini par reconnaître tout ce qu’il avait fait.
Il a en revanche persisté dans ses déclarations concernant l’alcoolisme de sa femme et les violences qu’elle a, elle aussi, commises à son encontre.
Avant une audience, il convient de s’entendre sur ce qui pourra et ne pourra pas être dit car certaines déclarations mettant en cause la victime peuvent apparaître inaudibles. Il convient donc de la ménager, mais sans occulter les faits utiles à la défense du prévenu.
II/ Ménager la victime sans occulter certaines vérités.
Il ne faut pas donner le sentiment d’inverser les rôles en faisant passer le prévenu pour la victime, mais il faut défendre son client et s’efforcer de faire entendre au tribunal certaines vérités parfois dérangeantes.
Les disputes font partie de la vie conjugale. Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à huit jours, comme en l’espèce, sont un délit. Ce qui peut expliquer le passage des disputes admissibles aux violences interdites, c’est l’incapacité du couple à mettre fin à l’ascension aux extrêmes, qui les fait passer des injures aux coups.
Or, cette incapacité est largement due à leurs alcoolisations respectives.
Lorsque la victime reconnaît, lors de l’une de ses auditions, avoir été alcoolique mais qu’elle soutient qu’elle ne l’est plus aujourd’hui, alors que Monsieur X prétend le contraire, il est important d’établir la vérité car elle éclaire différemment leurs rapports conjugaux.
Sommes-nous en présence d’une femme régulièrement battue par un mari alcoolisé un jour sur deux, ou s’agit-il d’un couple composé d’un homme et d’une femme tous les deux dépendants à l’alcool, qui s’injurient et commettent des violences réciproques lorsqu’ils ont abusé de substances altérant leur discernement ?
Dans la perspective de l’audience, le Procureur avait demandé que soit jointe au dossier une procédure très récente relative à des violences conjugales commises par Monsieur X à l’encontre de sa femme. Dans cette procédure, Monsieur X prétendait déjà être, lui aussi, victime de coups et dénonçait également l’alcoolisme de sa femme.
Or, le rapport de synthèse de cette procédure mentionnait que Madame n’avait pas pu être auditionnée le jour des faits, en raison de l’état d’alcoolisation dans lequel elle se trouvait. Ces faits viennent contredire ses dernières déclarations sur sa prétendue sobriété et établissent qu’elle ne dit pas toujours la vérité.
De même, dans le cadre de la présente procédure, une expertise toxicologique a été réalisée sur Madame pour vérifier la véracité de certaines allégations de la sœur de Monsieur X [2]. Les analyses ont révélé que si Madame consommait régulièrement du cannabis, en revanche, aucune autre substance psychoactive de nature stupéfiante ou médicamenteuse n’avait été identifiée dans les cheveux ou dans les prélèvements de sang et d’urine réalisés.
Il est toujours extrêmement délicat d’être désobligeant avec une authentique victime au cours d’une audience. Mais pour que la vérité puisse surgir des débats, le tribunal doit avoir une connaissance la plus complète possible des protagonistes du procès. Pour cela, il ne doit pas ignorer : l’alcoolisme de Madame, sa consommation habituelle de cannabis, le fait que lors des précédentes disputes qui ont émaillé les deux dernières années de vie commune, Monsieur X (qui n’avait plus son permis de conduire) ait appelé son père une dizaine de fois pour qu’il vienne le chercher au domicile conjugal et qu’à chaque fois, c’est Madame qui est retournée le chercher chez son père dans les jours suivant la dispute…
Ces faits ne justifient en rien des violences conjugales mais ils permettent d’éclairer les débats. Le plus souvent, Monsieur X fuit le conflit lorsqu’il éclate. Lorsque son père était de ce monde, il lui demandait de venir le chercher pour éviter que la situation ne dégénère. Cela permet de relativiser les déclarations à charge de certains « témoins », avant de présenter le prévenu sous un jour plus favorable.
III/ Présenter le prévenu sous un jour favorable.
A l’issue de sa garde à vue, Monsieur X avait le visage du monstre froid qui, après avoir violé sa sœur dans son enfance, martyrisait aujourd’hui sa femme, tout en lui administrant des drogues à son insu.
Au cours des six semaines de son contrôle judiciaire, le portrait de Monsieur X s’est singulièrement transformé.
La preuve des troubles psychiatriques dont souffre sa sœur, les accusations calomnieuses qu’elle a portées à l’encontre de son propre mari et le résultat des analyses toxicologiques effectuées sur la victime ont fait justice des accusations d’inceste et d’administration de substances nuisibles initialement portées contre lui.
Il n’en demeure pas moins qu’il a commis des violences conjugales et que son alcoolisme a favorisé le passage à l’acte.
Ses problèmes d’alcool devaient être pris à bras le corps et ils l’ont été. Monsieur X a bien évidemment honoré le rendez-vous que le cabinet lui avait pris pendant sa garde à vue avec un médecin addictologue (dont il avait été justifié devant le JLD).
Ce médecin lui a ensuite donné un autre rendez-vous et lui a recommandé de consulter un psychiatre. Monsieur X a honoré ce second rendez-vous et consulté un psychiatre qu’il a même revu par la suite. Tous ces médecins étaient situés dans la région où le prévenu résidait pendant son contrôle judiciaire.
Afin de démontrer le sérieux des démarches entreprises, un rendez-vous a également été pris, dans la semaine suivant la date de l’audience, au sein d’un centre médico-psychologique situé à proximité du domicile du client.
Lors de l’audience, le cabinet a ainsi pu plaider la réalité et le sérieux des traitements médicaux entrepris. Là où de nombreux prévenus se contentent de vagues promesses ou de pseudo-bonnes résolutions, Monsieur X pouvait justifier, par des certificats médicaux, les rendez-vous qu’il avait déjà honorés, ainsi que ceux qu’il avait pris et auxquels il se rendrait s’il restait libre à l’issue de l’audience.
Il a même consulté un conseiller conjugal dans l’espoir de sauver son couple, pour le cas où sa femme accepterait qu’ils se donnent une dernière chance et dans l’hypothèse où le tribunal ne lui interdirait pas d’entrer en contact avec elle.
Enfin, si le tribunal est saisi de faits, il juge aussi un homme en prenant en compte sa personnalité.
La préparation de l’audience ne s’est donc pas bornée à réfuter certaines accusations mensongères et à démontrer la prise en charge de l’alcoolisme de Monsieur X. Elle a également consisté à démontrer qu’il pouvait être un homme altruiste et qu’il ne devait pas être réduit aux actes qu’il avait commis.
Monsieur X a donc employé le temps de son contrôle judiciaire à des activités bénévoles. Pendant les six semaines séparant l’audience devant le JLD de l’audience devant le tribunal correctionnel, il a successivement accompli les activités suivantes :
- la préparation du repas de Noël des Compagnons de Saint Gilles, une association proposant une catéchèse adaptée à des personnes atteintes d’un handicap mental ;
- la participation au programme « Hiver Solidaire », consistant à accompagner des personnes sans domicile fixe ;
- une participation hebdomadaire à la permanence du secours catholique.
Monsieur X a pu produire des attestations des responsables de toutes les activités auxquelles il a participé. Ces activités n’effacent pas les faits commis mais elles disent beaucoup de la personnalité du prévenu et le tribunal la prend nécessairement en compte au moment où il fixe la peine.
Dans ce dossier, la culpabilité était avérée. Le cabinet plaidait donc la peine avec un triple objectif :
- éviter l’incarcération en obtenant un sursis probatoire assorti d’une obligation de soins ;
- éviter une interdiction d’entrer en contact avec la victime qui entraînerait de facto l’impossibilité pour Monsieur X de voir ses enfants, alors qu’ils sont très jeunes et que Madame a toujours affirmé qu’il était un bon père ;
- obtenir la restitution des scellés.
Le dernier point était tout aussi délicat que les deux premiers car les scellés étaient constitués de fusils de chasse appartenant au père de Monsieur X. Ceux-ci avaient été saisis et la question de leur devenir allait se poser.
Le cabinet a fait valoir trois arguments au soutien de la demande de restitution. D’une part, le fait que Monsieur X n’a jamais utilisé d’armes (ni même menacé de le faire) lors des scènes de violences conjugales. D’autre part, le fait que ces fusils sont dans la succession de son père, que celle-ci n’est pas encore liquidée et qu’ils appartiennent autant à Monsieur X qu’à sa sœur. Enfin, il a été plaidé que le frère et la sœur sont l’un et l’autre dans une grande précarité et que la confiscation des scellés les priverait du produit de la vente éventuelle de ces fusils.
Finalement, le tribunal a rendu une décision parfaitement équilibrée, répondant en tous points aux attentes du cabinet et de son client.
Monsieur X a en effet été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement assorti d’un sursis probatoire pendant deux ans [3] (inférieure aux réquisitions du procureur) avec plusieurs obligations dont celle de se soigner. Il n’a pas été prononcé d’interdiction d’entrer en contact avec la victime et les scellés ont été restitués.
Face à un prévenu qui reconnaît les faits qu’il a commis, qui s’en excuse et qui démontre ses bonnes résolutions pour éviter la réitération des faits, le tribunal est naturellement enclin à faire preuve de mansuétude, alors qu’il aura la main lourde avec un prévenu qui nie les évidences, y compris s’il a le soutien, au moins apparent, de sa victime.
Ainsi, le même jour, le tribunal correctionnel de Bourges a condamné à trente mois d’emprisonnement, dont douze avec sursis, un homme accusé d’avoir commis des violences conjugales mais qui plaidait la relaxe avec l’appui de sa victime venue témoigner en sa faveur. Cet homme est parti en détention pour dix-huit mois à l’issue de l’audience.
Le soir du jugement, Monsieur X a regagné la maison de son père mais dès le lendemain, sa femme est revenue le chercher. Au moment où cet article est publié, un peu plus d’un mois après le jugement, la famille vit à nouveau réunie sous le même toit. Le cabinet lui souhaite tout le bonheur possible en espérant que le couple saura régler ses problèmes d’alcool pour éviter que les mêmes causes ne reproduisent les mêmes effets…
[1] Dans la semaine précédant l’audience, le cabinet a pu porter à la connaissance du tribunal deux faits tendant à réfuter les accusations d’inceste (pour lesquelles Monsieur X n’a d’ailleurs pas été poursuivi) :
- en premier lieu, la sœur de Monsieur X a déjà porté de graves accusations à l’encontre de son propre mari il y a quelques mois. Après plusieurs heures de garde à vue, celui-ci a recouvré la liberté sans faire l’objet d’aucune poursuite. Il a en revanche demandé le divorce ;
- en second lieu, la sœur de Monsieur X a été hospitalisée trois semaines dans un établissement psychiatrique pendant le contrôle judiciaire de son frère. Elle prétend aujourd’hui que ce n’est pas lui l’auteur des violences sexuelles qu’elle a subies dans son enfance.
[2] Outre les accusations d’inceste, celle-ci avait également prétendu avoir vu son frère droguer sa femme avec des médicaments qu’il aurait versés dans son verre à son insu. Une expertise a donc été ordonnée.
[3] Ce qui signifie qu’il n’a pas été incarcéré et que le tribunal a décidé de lui imposer un certain nombre d’obligations (dont celle de se soigner) ; le respect de ces obligations faisant l’objet d’un suivi durant deux ans. Si Monsieur X ne les respecte pas, il pourra alors être incarcéré durant deux ans : 2 ans d’emprisonnement assorti d’un sursis probatoire pendant 2 ans.