Tribunal correctionnel de Paris
20 juin 2024
N° de parquet 19203000079

La victime de violences volontaires a toujours un préjudice moral, souvent un préjudice esthétique, parfois un préjudice d’agrément. En l’espèce, elle a fait valoir les trois et obtenu la condamnation de l’auteur des violences à les réparer.

A une certaine époque, il arrivait que des sous-officiers administrent des tapes derrière la tête des militaires du rang dont ils assuraient l’instruction, dans le but de corriger leur manière de servir. Traditionnellement appelées CBF, pour « claques de bon fonctionnement », les coups ainsi portés avaient un caractère plutôt humiliant qui justifie qu’ils soient désormais proscrits.

Monsieur X, client du cabinet LUNEAU Avocat, a admis avoir eu recours à ces pratiques, dans un esprit pédagogique, sans imaginer qu’elles pouvaient avoir été mal vécues par certaines recrues. Or, ce fut le cas de monsieur Y qui a gardé un mauvais souvenir de sa période d’instruction et en a même conçu une rancune tenace à l’égard de monsieur X.

En effet, quelques jours avant la fin de son contrat d’engagement, alors qu’il n’était plus sous les ordres de son ancien chef depuis plusieurs années, il a demandé à le voir et s’est brusquement jeté sur lui pour le rouer de coups avec une extrême violence. Monsieur X a eu le nez fracturé, une entorse du rachis cervical, le visage couvert d’ecchymoses et une incapacité totale de travail (ITT) de douze jours.

Monsieur Y a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de PARIS du chef de violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours. Monsieur X s’est constitué partie civile pour demander la réparation de ses préjudices et a mandaté le cabinet LUNEAU Avocat pour l’assister.

Le cabinet a agi sur le fondement de l’article 2 du code de procédure pénale qui dispose que :

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction».

En l’espèce, monsieur X a personnellement souffert du dommage directement causé par le délit de violences volontaires dont il a été la victime. Le cabinet a demandé la réparation du préjudice moral, du préjudice esthétique et du préjudice d’agrément de son client, en s’appuyant sur le référentiel Mornet pour présenter ses demandes [1].

Le préjudice moral – Les souffrances endurées

D’après le référentiel Mornet, « Il s’agit d’indemniser ici toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime […] » (Edition 2023, page 66). Ces souffrances résultent de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, mais aussi de l’atteinte à sa dignité et du traumatisme qui en est la conséquence.

En l’espèce, monsieur X a fait face à une agression d’une extrême violence, au cours de laquelle il a notamment eu le nez fracturé et les vertèbres fragilisées par un étranglement qui a provoqué une entorse du rachis cervical. Durant la phase d’étranglement, monsieur X a réellement craint pour sa vie. Il en est resté durablement affecté.

Le tribunal a accueilli la demande présentée sur ce fondement et a condamné l’agresseur à verser à la victime une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Le préjudice esthétique

Le cabinet a ensuite fait valoir le préjudice esthétique de son client, en distinguant le préjudice esthétique temporaire du préjudice esthétique permanent. Des photographies du client, prises juste après l’agression et juste avant l’audience, ont été présentées à l’appui des demandes.

D’après le référentiel Mornet : « Les photos produites par la victime sont souvent la meilleure preuve de ce préjudice. Dès lors que l’on constate l’existence d’un préjudice esthétique temporaire, celui-ci doit être indemnisé de manière autonome ; il ne saurait être indemnisé au titre des souffrances morales endurées (Civ. 2, 3 juin 2010, n°09-15.730). La Cour de cassation juge que le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent; »(Edition 2023, pages 67 et 68).

–          Le préjudice esthétique temporaire indemnise l’altération temporaire de l’apparence physique de la victime qui a des conséquences personnelles liées notamment au regard des tiers.

En l’espèce, la victime a eu le visage couvert d’ecchymoses. Plusieurs œdèmes étaient également décrits dans le certificat de coups et blessures joint aux conclusions, l’un au niveau du nez fracturé, l’autre de 7 cm de diamètre sous l’œil, au niveau de la joue gauche. Enfin, monsieur X a été contraint de porter une minerve.

L’apparence de la victime, dont l’essentiel des blessures se trouvait sur le visage, a donc été fortement altérée et lui a nécessairement causé un important préjudice.

Le tribunal a accueilli la demande présentée. Sans toutefois faire droit au montant demandé, il a condamné monsieur Y à verser à monsieur X une somme de 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire.

–          Monsieur X ayant gardé une cicatrice de son agression, il pouvait également prétendre à la réparation d’un préjudice esthétique permanent.

La cicatrice ne mesure que douze millimètres mais elle est située sur le visage, plus précisément sur l’arête du nez, donc à l’endroit le plus visible.

Là encore, le tribunal a accueilli la demande présentée et a condamné monsieur Y à verser à monsieur X la somme de 700 euros.

Le préjudice d’agrément

Le référentiel Mornet rappelle que : « Le préjudice d’agrément vise exclusivement à réparer le préjudice « lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ». Ce préjudice concerne donc les activités sportives, ludiques ou culturelles devenues impossibles ou limitées en raison des séquelles de l’accident. Il appartient à la victime de justifier de la pratique de ces activités (licences sportives, adhésions d’associations, attestations…) […]. »

En l’espèce, monsieur X pratiquait assidument le parachutisme sportif, comme l’a démontré le cabinet en produisant les licences des trois dernières années précédant l’agression, ainsi que son carnet de sauts en parachutes. Ce carnet répertoriait cinquante sauts, dont les derniers avaient été réalisés trois jours avant l’agression.

Le cabinet a fait valoir que les blessures de monsieur X, notamment l’entorse du rachis cervical, conséquence de l’étranglement dont il a été la victime, l’empêchent désormais de pratiquer le parachutisme.

En effet, quand un parachutiste déploie sa voile, il passe d’une vitesse de chute d’environ 200 km/h à 30 km/h en quelques secondes. C’est cette décélération extrêmement brutale qui provoque un choc au niveau des vertèbres cervicales et qui explique pourquoi le parachutisme est désormais incompatible avec le traumatisme subi par monsieur X.

Le cabinet a également produit deux ordres de service montrant que son client était désigné pour effectuer un nouvel entraînement dans le cadre des activités de la section militaire de parachutisme, postérieurement à la date de l’agression. Or, l’examen du carnet de sauts montre qu’à compter de l’agression, monsieur X n’a plus jamais effectué aucun saut en parachute, alors qu’il s’agissait d’une activité sportive à laquelle il s’adonnait très souvent.

Il a donc incontestablement subi un préjudice d’agrément, ce qu’a admis le tribunal en condamnant monsieur Y à lui régler une indemnité de 2 000 euros de ce chef.

En conclusion, si monsieur X a pu avoir des gestes maladroits lorsqu’il était responsable de l’instruction des militaires du rang, rien ne justifiait le déchaînement de violences qu’il a subi des années plus tard.

Indépendamment des dommages et intérêts qu’il devra verser à monsieur X, monsieur Y a été reconnu coupable du délit de violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieur à huit jours ; il a été condamné pour cela à dix mois d’emprisonnement avec sursis.

[1] Ce référentiel, du nom du magistrat qui l’a rédigé, Benoît MORNET, est un recueil méthodologique visant à faciliter le traitement du contentieux de la réparation du dommage corporel.